58. [Stanislas]

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La situation semblait figée à tout jamais: le faucheur et Jasmina se faisaient face, les regards croisées et les corps immobiles. Le maître du temps continuait à lancer ses sortilèges comme s'il vidait leurs âmes. Stanislas ne comprenait pas ce qui se passait, cela l'inquiétait et il aurait aimé pouvoir venir en aide à Jasmina dont il ignorait l'identité. Finalement, l'identité, il s'en foutait. Ce qu'il voulait, lui, c'était de ne jamais laisse tomber les innocents. 

Alors, même s'il savait que cela était dangereux, il s'approcha d'eux lentement et essaya de comprendre ce qui se passait: étaient-ils morts? Les deux joueurs se faisaient face et se regardaient intensément, comme si leur vie dépendait de celle de l'autre. Cependant, il y avait quelque chose dans leurs yeux, oui, quelque chose de si vide mais à la fois de si passionné qu'il crut voir la mort en temps réel. Un soupçon d'horreur imprégnait leur regard, à la fois saisissant et inhumain. 

Pensant perdre son coéquipier, Stanislas se retourna en direction du maître du temps et lui demanda en criant ce qui était en train de se passer, mais lui aussi semblait absorbé par la situation et ne lui répondit pas, on aurait dit qu'il était en transe et que la connexion entre les deux individus dépendait de lui. Dans ses grands gestes, dans ses grandes phrases qu'il récitait dans une langue étrangère, il y avait un part de lui qui s'était donné entièrement à l'oeuvre qu'il réalisait.

Saisi par l'absurdité de la scène, Stanislas tenta de s'approcher de ce magicien étrange et observa chez lui une détermination telle qu'il n'osa pas le déranger. Son âme semblait entièrement vouée à celles de ses sujets, la passion qu'il avait reconnu plus tôt dans le visage des victimes étaient d'autant plus intense chez lui: il n'osa pas l'interrompre, briser une telle oeuvre pourrait être dangereux.

Pourtant, une sorte de fatigue se faisait ressentir dans ses gestes, il paraissait épuisé de donner autant de son être dans ce sortilège qui avait empêché Jasmina de mourir sous le coup fatidique du faucheur, ainsi Stanislas comprit que cela ne tiendrait pas plus longtemps et que l'une des deux statues allait reprendre vie et amener à une situation singulière: le faucheur aurait la possibilité de tuer Jasmina ou cette dernière aurait l'occasion de s'enfuir. Tout était une question de chance, de malchance ou de destin.

Mais le destin, si personne ici n'était dans la possibilité de le changer, lui le pouvait et il ne resterait pas simple spectateur de la scène. Il fallait agir, préparer et contre chaque éventualité pour ne pas laisser la surprise le prendre de cours et laisser cette dernière agir dans un sens qu'il ne souhaiterait pas. 

Le destin, même à petite échelle, il en serait le dictateur ce soir. Seuls ceux qui agissent arrivent à leurs fins, ce ne sont pas ceux qui restent assis à attendre que la vie leur passe devant qui entreprendrait quoi que ce soit qui révolutionnera le monde et la vie d'autrui. Stanislas, lui, avait toujours eut envie de donner un sens à sa vie, une raison aux réveils qu'il subissait malgré lui chaque matin. 

Alors, il se mit entre les deux et attendit patiemment que quelque chose se passe. Cela n'était pas un exercice facile, il fallait être en mesure d'observer chaque fait et geste du faucheur et de Jasmina en même temps. Le premier qui se réveillerait changerait la situation, prendrait l'ascendant sur l'autre et importerait se vie. 

Soudain, Stanislas entendit la voix grave du magicien qui essayait de lui communiquer quelque chose, mais cela était trop faible, trop petit et il ne pouvait comprendre le message qu'il voulait lui faire passer.

-Sssss....Ouuuuuuuuuuuuu.

Stanislas lui répondit qu'il ne parvenait pas à capter le sens de ses paroles, alors le mage recommença plusieurs fois, y donna son coeur mais rien ne semblait audible. 

-Sssss....Ouuuuuuuuuuuuvvvvvvvvvvv. Sooooooooooooooon souuuuuuuuuuuuuuv, reprit-il, son souuuuuuvvvvvveeeeeeeeeeeennnnnnnnnnnnnniiiiiiiiiiiir.

-Quoi? Mais quoi? Quel souvenir?

-Son souveniiiiiirrrrrrr, soupirait-il de sa voix grave, iiiiiiiiiiillllll seeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee disssssssssiiiiiiiiiiiiiiiiipeeeeeeeeeeee.

-Son souvenir se quoi? Se dissipe? De quoi? Pourquoi son souvenir se dissiperait-il?

-Leeeeeeeeee fauchhhhhhhhhhhhhhhhhheuuuuuuuuuuuuuuuuuur, parvient-il à déclarer avant de s'effondre par terre. 

Stanislas recula et vit les membres du faucheur commencer à se mouvoir tandis son regard restait fixé à celui de Jasmina. Lentement, il reprit sa faux à deux mains et le leva achever sa besogne avant que...

Avant que les yeux de Jasmina ne virèrent au bleu, un bleu qui l'arrêta net dans son élan. Quelqu'un semblait habiter son corps, la jeune brune était possédée, son corps ne manifestait qu'une haine qui croissait à mesure que son visage, lui, se fermait. Doucement, son corps s'éleva du sol et maintint à quelques centimètres du sol. 

Elle articula quelques mots dans une voix démoniaque laissant son innocence de côté:

"Je refuse de terminer comme maman"



Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant