56. [Cinks]

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« Pauline, écoutez-moi attentivement. Vous vous employez à des analyses qui, bien que peu réfléchies, sont d'autant plus erronées. Hélas, je ne suis pas physiquement laid comme vous le décrivez, je ne suis pas fondamentalement en manque d'amour, vous étiez bien prête à succomber sans voir mon réel visage, n'est-ce pas?

Eh bien, je vous dirai que votre psychologie de comptoir ne m'intéresse pas et je voudrai vous informer que la poursuite de telles théories ne sera point nécessaire. Vous êtes ici simplement par le résultat de vos actes. Le règlement ne doit pas être enfreint, un point c'est tout. Je le répète, les règles étaient simples et, de plus, vous avez quand même décidé d'expliciter oralement le rôle que vous aviez alors qu'Alex, membre de votre tribu, semblait avoir compris tout seul sans que vous n'ayez besoin de vous emporter de la sorte.

Lorsque je vois la manière dont vous avez réagi à son égard, en lui demandant je cite de « Dégager », j'ai éprouvé une once de tristesse. Vous savez, au-delà de votre déficience intellectuelle, vous remettez la faute sur les autres lorsque la raison principale de votre malheur n'est autre que vous.

Dois-je vous rappeler que c'était bien vous qui tentiez de respecter votre rôle par des stratagèmes si peu crédibles et spontanés que votre ami vous a démasqué en l'espace de quelques jours? Excusez-moi, mais ce qu'il y a d'autant plus drôle, c'est que ce chère Alex essayait simplement de vous rassurer lorsqu'il a engagé la conversation à propos de votre rôle. Lui non plus n'est pas subtile, je vous l'accorde, mais ses intentions sont moins perverses que les vôtres.

Parce que oui, je vous observe jours et nuits, j'épluche les rapports des moments que je manque et je me forge des avis sur chacun d'entre vous. Sachez que le vôtre se rangerait dans la catégorie du divertissement tellement vos attitudes sont insensées. Alors, lorsque l'on regarde la scène où vous avouez votre rôle à Alex sous le coup de la colère, il devient comique d'analyser la manière puérile dont vous usez pour rejeter entièrement la faute sur lui. Mais quel joueur a dit explicitement le rôle qu'il avait? Qui a enfreint le règlement? Qui s'est fait démasquer?

A tout hasard, je crois que la réponse à ces questions est simplement vous et votre «laideur » interne. Parce que, sincèrement, même si vous êtes loin de m'éblouir, votre âme ne semble pas égaler votre corps en terme de monstruosité. Je vous ai observé, en effet, lorsque vous empoisonniez n'importe qui sans état d'âme. Il s'agit là de la seule chose qui me pousserait à vous garder en vie, vous êtes une réelle compétitrice. Quoique, en vérité, vous devez simplement être dépourvue de coeur.

Mais qui vous l'a volé, ce cœur? Que vous est-il arrivé? Je n'ai pas de réponses à ces interrogations mais je suis bien placé pour savoir que cela relève de l'inintéressant. Alors parlons maintenant de ce que je compte faire de votre personne.

Vous tuez? Trop simple, après tout, n'est-ce pas un soulagement lorsque la vie vous est désagréable que de mourir? De mon côté, je suis persuadé que cette aventure pourra vous apporter tant sur le plan amical qu'amoureux. Des rencontres, vous en ferez, des amitiés, vous en lierez et des amours, vous en souffrirez. Et c'est cela qui me séduit, c'est cela qui me pousse à ne pas appuyer sur la gâchette.

Ce qui vous sauve ce soir, c'est ma curiosité qui me pousse à avoir envie de vous voir souffrir pleinement lorsque vos amis et vos amours seront soustraits à votre vie en un claquement de doigt. J'ai envie que vous connaissiez le mal, que vous vous sentiez torturée et que, lorsque vous regarderez en arrière, vous vous disiez qu'il valait mieux mourir ce soir. 

En vous remettant dans le Jeu des Faucheurs, je vous demande de ne pas expliciter la raison pour laquelle vous avez séjourné dans mes quartiers: si les autres joueurs découvrent qu'Alex connaît votre rôle, cela pourrait paraître suspect et il serait bête que vous l'emmeniez avec vous dans votre tombe tandis que personne ne l'aurait accusé ou tué naturellement. »

Cinks détacha les sangles et laissa Pauline retrouver la mobilité de ses membres.

« Au fait, à l 'avenir, ne vous essayez pas à la séduction, vous n'excellez point dans ce domaine et les seules personnes capables de tomber dans votre piège seraient soit bêtes soit motivées par vos attributs féminins. Ce n'est pas flatteur dans les deux cas.»

D'un signe de main accompagné d'un sourire, il invita Pauline à fermer les yeux. Il lui enfonça saignement une seringue dans le cou qui lui fit perdre connaissance.

Finalement, il avait raison: Pauline aurait préféré mourir plutôt que d'entendre ces vérités qu'elle laissait inconsciemment de côté.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant