9. [Jasmina]

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L'instinct de Jasmina la guidait à tâtons dans le noir. S'interrogeant sur le sens de sa présence ici, elle ne parvint pas à mettre de mots sur ses souvenirs, seules des impressions lui traversèrent l'esprit.
Le corps tremblant, elle continua son avancée et se heurta à quelque chose. Il fallait rester calme. Oui. Il ne fallait pas paniquer. La panique induit toujours en erreur, n'est-ce pas? Ce serait déraisonnable d'être paniquée. Non. Ne pas être paniquée. Oui. Il ne faut jamais perdre le contrôle. Perde le contrôle rend fou. La folie n'arrange jamais les choses. Non. Jamais. Oui, il faut aller de l'avant. Non, personne n'allait mourir. Oui, cela était un mensonge.

Lorsqu'elle palpa ce qui était devant elle, sa main épousa la forme d'une poignée. Tandis qu'elle s'apprêtait appuyer dessus, un cri retentit et résonna dans l'ensemble du bâtiment. Personne n'allait mourrir. Mais il ne s'agissait pas d'un de ces cris graves qu'elle avait entendu auparavant, celui-ci était un cri strident et aiguë. Un long silence suivit et la tétanisa. Le sang glacé, son teint ne tardait pas à pâlir et son ventre ne put s'empêcher de se nouer. Jasmina jura qu'elle ne se laisserait plus entrainer par ses lubies d'héroïsme.

Ses pensées furent interrompues par des bruits qui semblaient la gagner. Elle entendit... des rires ? Comment ça ? Pourquoi des rires ? Mais pourquoi des rires ? Pourquoi? Elle ne voulait pas, non elle ne voulait pas être ici, elle n'y avait rien à faire... Pourquoi elle ? Pourquoi pas d'autres ? Et le couteau qui avait ôté la vie de sa mère ? Pourquoi elle? Pourquoi pas la mère d'un autre ? Qu'avait-elle fait? Tout se mélangea dans de tête et lui parut insupportable. Mais pourquoi? C'était peut être parce que sa mère couchait avec le voisin que papa ne lui donnait pas assez d'amour qu'elle méritait de mourir? Mais non, cela devait être l'alcool! Boire tous les soirs rendaient fou, mais cela était l'affaire l'alcool, pas du père. Mais oui! Son père, cet homme si parfait, si bien élevé, si intelligent ? C'était de la faute de sa mère, de cette vielle catin? Pas de lui. Non, pas de lui, pas de celui qui avait toujours raison, pas de celui qui ne se remettait jamais en question ni celle de l'homme qui ramenait l'argent à la stupide femme au foyer, mais celle du reste, celle l'humanité, de la médiocrité, à tout ce qui est vil. Il était au dessus de tout cela, papa. C'était quelqu'un de bien, papa. Il était obligé, papa. Il ne me frappait pas, moi. Il ne frappait que les méchantes personnes comme maman. Il avait essayé de la prévenir, elle n'avait pas écouté. Rien à se reprocher. Il était obligé.

Son cœur se serrant, elle décida  de revenir doucement sur ses pas. Il fallait trouver une autre issue, mais les bruits continuaient à s'intensifier, le brouhaha dans sa tête montait crescendo, les sons se rapprochaient: son passé parviendrait à la retrouver.

Longeant le mur, elle arriva dans une pièce, un coin chaud loin de ses cauchemars. Ses doigts effleurèrent des formes rondes. Elle s'appuya dessus et entendit tout un système se mettre en route. Elle venait de lancer le circuit des conduits d'arrivées d'eau des toboggans de la piscine. Et c'était là qu'elle comprit: elle se trouvait dans le local technique.

Même cloîtrée dans un tel endroit, les bruits ne s'arrêtèrent pas. Les sons étaient proches, trop proches. Sous le coup de la panique, elle chercha par tous les moyens à allumer la lumière, de chasser ce noir qui la rendait folle. Lorsque ses mains se retrouvèrent au niveau d'un lévier, elle ne réfléchit pas et le l'actionna vers elle.

Elle ne put se retenu de crier lorsqu'elle vit à travers la vitre les boyaux d'un homme qui flottaient à la surface de la piscine. L'eau ensanglantée autour du corps se répandait. Elle éclata en sanglots lorsqu'elle vit inscrit le mot "sortez" en sang sur le carrelage qui bordait la piscine.

Il y avait comme un air de mort dans la piscine municipale. On se croirait presque dans la cuisine de Jasmina.

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant