44. [Pauline]

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Encore sonnée par la mort d'Elisa et de Donavan, Pauline resta assise sur le trône le regard vide. La scène repassait encore et encore dans sa tête comme si quelqu'un rembobinait la pellicule de leur décapitation. Elle revoyait le regard glacé d'Elisa qui avait croisé le sien avant tant de détresse qu'elle eut l'impression de perde un être cher. Piégée dans une prison de souvenirs morbides, la chance d'être en vie ne fit jamais autant écho dans la tête de Pauline.

En ce lieu, un instant suffisait pour ne plus appartenir à ce monde. Bien que l'arène la confronte à des situations qui lui donnaient l'impression d'être vivante, les cris, les pleurs et les angoisses n'égalaient pas la peine qu'infligeait la mort de ces deux innocents. Ressentir la peur à travers les yeux de cette jeune fille marqua son esprit à tel point qu'une vague de rage déferla et vint emporter celle de la tristesse.

Sa lutte contre l'injustice s'illustrerait désormais par l'empoisonnement méticuleux des faucheurs. Même si leur identité était distillée dans la foule d'innocents, leur comportement devait différer de leurs cibles. En s'efforçant de s'immiscer dans la peau de l'un d'entre eux, elle arriva à la conclusion qu'être maître de la mort d'autrui procurait une forme d'assurance.

Etudier le comportement du nombre restreint de joueurs qu'elle côtoyait l'amena à innocenter Alex, Jack et Miranda. Les uniques accusations qu'elle portait concernait Riff dont l'attitude agressive et irréfléchie lors du conseil suscitait des interrogations. Il devint impératif de survivre lors de la prochaine nuit afin de faire part de ses doutes aux membres de sa tribu avant le deuxième conseil. Avant de se prononcer hâtivement, elle préféra rassembler des preuves.

Approcher un jeune homme si sûr de lui qui pourrait la séduire en un rien de temps l'inquiéta mais, en y repensant, il suffisait de lui laisser bêtement penser qu'elle tombait sur son charme pour qu'il baisse sa garde et qu'il laisse filer certains détails qu'elle recueillerait précieusement.

Un élan d'énergie la poussa à se lever afin d'entamer son enquête: Riff serait la première cible de son opération. Assis un peu plus loin aux côtés d'une belle brune, ce dernier était en pleine discussion lorsque Pauline fit éruption. Quelques secondes lui suffirent avant qu'elle ne s'invite dans leur discussion et qu'elle emprunte le jeune homme pendant ce qu'elle avait promis être quelques minutes. Surpris par son comportement aguicheur, il la suivit sans rechigner.

D'un sourire charmeur, il lui demanda ce que lui valait cette visite, ce à quoi Pauline répondit qu'elle brûlait d'envie de faire connaissance avec lui.

-Pourquoi? demanda-t-elle en passant la main dans ses cheveux. Serais-tu contre?

Riff lui adressa un rire narquois avant de se mettre derrière elle.

-Oh non, au contraire, susurra-t-il à son oreille, cela m'enchanterait.

Ne sachant pas comment réagir face à la proximité soudaine qui s'était installée entre eux, elle entra dans son jeu en se jurant que cela faisait partie de la mission.

-Quel est ton joli prénom? demanda-t-il en s'éloignant d'elle.

Pauline ne se retourna pas, elle ne se laisserai pas avoir par son petit jeu.

-Comment peux-tu qualifier mon prénom de joli si tu ne le connais pas, Riff? pointa-t-elle.

-Parce que j'aurai aimé l'entendre de ta bouche, Pauline, déclara-t-il en arrêtant sa marche.

Lorsqu'elle vit qu'il revenait sur ses pas, elle comprit qu'elle avait l'avantage.

-Beau parleur, je te l'accorde, répondit-elle, mais je n'ai pas besoin de paroles éphémères, j'attends un homme tu sais, un vrai.

-Quelqu'un qui t'épaulera dans les moments difficiles? demanda-t-il.

-Par exemple oui.

-Quelqu'un qui sera toujours à tes côtés, prêt à te protéger et à sa battre pour toi? continua-t-il.

-Exactement ! dit-elle en faisant croire qu'il venait de mettre le doigt sur quelque chose d'incroyable.

-Oh ma belle, désolé de te décevoir mais je ne suis pas le ridicule cliché du prince charmant que l'on t'a vendu quand tu étais petite, répliqua-t-il.

Pauline s'avance vers lui et se plaça derrière lui dans la même position qu'il avait emprunté précédemment.

-Parce que tu oses penser que j'étais sincère dans mes réponses? chuchota-t-elle à son oreille. La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée, récita-t-elle.

L'incompréhension s'afficha sur le visage de Riff tandis que Pauline semblait amusée par la situation.

-Oh Riff, s'il te plaît, reprit-elle enjouée, ne me dis pas que tu ne connais pas Stendhal, tu me briserais le cœur...

-Tu te la joues philosophe? demanda-t-il bluffé.

-Non, répondit-elle, je me la joue écrivain chéri.

Avant de rejoindre Miranda et Alex qui semblaient l'attendre depuis quelques minutes, elle l'entoura de son bras et le laissa glisser le long de son torse.

-Quand est-ce que nous nous reverrons? demanda le jeune homme.

-Lorsque beau parleur ne sera qu'un mauvais souvenir, répondit-elle en partant.

Une fois l'allure d'un défilé de mode adopté le temps qu'il la regarde s'éloigner, Pauline se concentra sur l'attitude de Riff. Il n'y avait aucun doute. "Complètement désinvolte", jugea-t-elle, "parfait".

Le Jeu des FaucheursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant