Chapitre 26 « Tu roules vite »

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——MAYA——

Depuis une vingtaine de minutes, Hakim roulait, mâchoire serrée et sourcils froncés. Je sentais ma panique tétanisante se calmer au fur et à mesure que nous nous éloignions de la maison de Clem.

Il m'avait sortie de là.

De temps en temps, il me jetait un regard inquiet puis se concentrait de nouveau sur sa conduite. 200 km/h sur l'autoroute déserte, nous arriverions vite à Paris.

Je ne comprenais pas vraiment pourquoi je me retrouvais encore avec lui. Mais c'était vers lui que j'avais voulu me tourner, parce que comme à chaque fois : aucune pitié, aucun sentiment. D'autre part, c'était la seule personne que je connaissais qui me faisait sentir dans une sécurité totale. L'impression qu'il ne pouvait rien arriver de grave tant qu'il était là. C'était assez paradoxal étant données les circonstances de notre rencontre.

— Hakim, murmurai-je pour la centième fois de la nuit.

Il m'adressa un regard interrogateur.

— Merci.

Le rappeur plia la bouche et très étonnement, cela me décrocha un petit sourire.

— Tu roules vite, dis-je encore.

Un simple haussement d'épaules me répondit. Je me tournai vers la fenêtre, le jour commençait à poindre, nous arriverions au petit matin.

— Ma grand-mère, articulai-je, Babcia, comme je l'appelais en Polonais, elle est morte dans un incendie quand j'avais seize ans.

Hakim haussa un sourcil, surpris que je me mette spontanément à lui confier des choses. Mais désormais je savais que je pouvais avoir confiance.

— On habitait dans le vingtième, un petit truc un peu moisi où on se lavait à l'eau froide. Toutes les économies passaient dans mes cours de danse. Un jour, ma mère est venue nous voir. Elle...

Je me tus un instant, cherchant mes mots.

— Elle était pas nette et puis, il y a eu une coupure de courant, il y en avait souvent, on avait l'habitude. Mais elle voulait voir ce qu'elle faisait et elle avait mis des bougies. On était parties se coucher avec Babcia. Quand je me suis réveillée il faisait mille degrés, l'air était irrespirable, de la fumée partout. Je suffoquais. Je suis sortie en trombe de ma chambre, la pièce commune était en feu, tout cramait, je pouvais plus respirer. Je suis tombée dans les pommes. Les voisins ont appelé les pompiers. Quand ils sont arrivés ils m'ont sortie. Ma grand-mère, elle, était coincée dans sa chambre par les flammes. Mais elle a quand même voulu sortir pour me sauver et... on sait pas trop si ce sont ses brûlures ou la fumée qui ont causé sa mort.

Ma voix, naturellement rauque et basse avait atteint les limites de ses capacités. Hakim ne disait rien, son regard ne trahissait aucune émotion. J'en fus une nouvelle fois soulagée.

— Et ta mère ? finit-il par demander.

— Elle était plus dans l'appartement. Je me sens pas encore prête à te parler d'elle, dis-je doucement.

Le Kabyle hocha la tête, je savais qu'il serait patient. Je comptais bien lui en raconter plus, parler de tout ça me faisait du bien. J'avais vu des dizaines de psychologues pour gérer mon agressivité et je n'avais jamais senti cette écoute paisible et dénuée d'émotion.

FélinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant