Chapitre 51 « pourquoi faut être bien sapé ? »

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Nous avions tout fait pour arrêter le temps, mais il avait finit par fuir.

Après avoir parlé de longues heures, profité du confort de l'hôtel, partagé une nuit d'intimité, nous eûmes plus de mal à apprécier la journée du dimanche. Il était difficile de ne pas penser que le soir même nous dormirions à Paris et que ce que nous avions fui tout le week-end, nous reviendrait en même temps que le soleil se lèverait sur la ville.

— J'ai pas envie de rentrer, soupirai-je pour la quinzième fois de l'après-midi.

— Arrête, c'est chiant à chaque fois que tu dis ça tu me fous le seum, grogna Hakim en finissant son café.

Soudain j'eus une idée complètement idiote, qui allait à l'opposé de mes principes et sans doute de ceux du rappeur, mais qui pouvait grandement nous divertir.

— Suis moi, dis-je en me levant, attends comment t'es fringué ?

Je détaillai son jean noir et son pull beige, ça passait.

— Faudra que t'enlèves ta casquette.

Il m'adressa un regard à la fois blasé et dubitatif.

— On va où, pourquoi faut être bien sapé ?

Je lui répondis par une moue énigmatique et il n'eut pas l'air rassuré.

— Allez, bouge, j'ai déjà payé les cafés.

Il se leva en grommelant quelque chose sur les femmes qui avaient une idée dans la tête, enfila sa parka et me suivit hors du café.

— C'est ouf quand même, t'as direct pensé à vérifier comment j'étais sapé mais tu t'es même pas posé la question pour toi.

Haussant un sourcil j'observai le visage grognon du Kabyle.

— Parce que moi je suis toujours bien habillée, Tigrou.

Ce n'était pas totalement faux, j'aimais bien m'habiller et j'avais un style assez étudié, étant souvent en robe ou en jupe. Pour autant, on n'avait pas l'impression que je partais pour un gala à chaque fois que je sortais de chez moi. Je n'aimais pas avoir l'air trop classique et optais toujours pour des vêtements dans lesquels j'étais d'abord à l'aise pour me mouvoir.

— Bourgeoise, maugréa-t-il.

— Racaille, répondis-je sur le même ton.

Les gens qui nous croisaient devaient souvent se faire cette réflexion en se basant sur notre apparence. Pourtant rien n'était plus faux, je refusais le cliché de la petite fille à papa bien élevée qui fait sa crise en sortant avec un voyou. En fait, nous étions deux racailles, sauf que je le cachais mieux que lui.

Quand il vit où je l'emmenais il haussa les sourcils.

— T'es sah là ? Tu veux qu'on aille au casino ?

Je hochai vigoureusement la tête avec un grand sourire d'enfant.

— Toz, je gaspille pas ma maille dans des machines à sous.

Il était épuisant, au fond je voyais qu'il était très tenté d'accepter, il rechignait pour la forme et je savais comment le convaincre.

— Pas ton argent, le mien. Je vais retirer cent balles. Tant qu'on a du fric, on joue. Si on a plus rien on arrête, si on arrive à plus de mille, on arrête aussi. Allez, Tigrou s'il te plaît j'ai besoin de faire une bêtise pour ne pas déprimer en pensant à ce soir...

C'était totalement un caprice d'enfant, cela m'arrivait assez rarement, mais nous avions tous les deux besoin de penser à autre chose.

— Tu fatigues, soupira-t-il la mine résignée.

FélinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant