Chapitre 50 « Nam, tu pleures ? »

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Un long soupir m'échappa alors que je m'apprêtais à poursuivre mon récit. Même Lucie ne savait pas les trois quart de ce que je m'apprêtais à raconter à Hakim.

— Donc quand Babcia a accouché, elle s'est retrouvée à seize ans avec un bébé à nourrir, dans un pays dont elle parlait tout juste la langue et dont les habitants ne se privaient pas de la traiter de sale polak venue profiter du merveilleux système social français. Elle est tombée sur des hommes qui ont voulu la foutre sur le trottoir, comme tant d'autres polonaises en galère. Tu penses, avec les yeux magnifiques et le port de déesse qu'elle avait, elle attirait les pires ordures. Mais en plus d'être extrêmement croyante et d'avoir des valeurs ultra solides, elle avait une volonté de fer et un très mauvais caractère. Ce qui fait qu'elle n'a jamais donné dans la prostitution.

Je marquai un temps de pause pour finir mon assiette. Hakim était suspendu à mes lèvres, il avait son silence des grandes écoutes, celui que je préférais, quand il attendait patiemment en me regardant sans pitié, sans jugement.

— Finalement, elle a enchaîné les petits boulots de merde pendant des années, faisant garder sa fille à droite à gauche par d'autres immigrées. C'était un peu plus simple une fois que ma mère a été à l'école. Bref voilà, elle a élevé sa fille comme elle a pu, elle est restée célibataire, refusant de laisser à nouveau entrer un homme dans sa vie. Pourtant je peux t'assurer que ce n'étaient pas les propositions qui manquaient.

Hakim m'adressa un petit sourire à la fois timide et amusé.

— Mais en fait, toi et elle vous êtes les mêmes c'est chaud.

Il ne pouvait sans doute pas me faire de plus beau compliment. Ma grand-mère était mon exemple absolu.

— C'est mon modèle Haks, enfin j'essaie de faire les choses aussi bien qu'elle.

Nous fûmes interrompus par le serveur à qui nous commandâmes un café pour finir notre repas.

— Ça va plus loin que l'imitation, Namira. J'pense que c'est un truc génétique à ce niveau là.

J'eus un sourire gêné, la génétique ne faisait pas tout. J'allais bientôt aborder le chapitre concernant ma mère, il verrait bien qu'elle ressemblait faiblement à Babcia.

En silence, nous bûmes notre café pendant que je réfléchissais à la meilleure façon de lui présenter les choses. Ma mère, mon père, mes parents ensemble puis séparés. Le grand n'importe quoi qui avait suivi leur histoire.

— On va marcher et tu me racontes la suite ?

— Oui, sur la plage.

Il opina du chef, je payai pendant qu'il m'attendait sur le trottoir.

— Il fait grave froid, ronchonna-t-il quand je le rejoignis.

Le rappeur remonta la fermeture éclair de sa parka et tira sa capuche par dessus sa casquette.

— On est en Normandie en plein mois de novembre, Haks ! Fallait pas t'attendre à des températures caniculaires.

Il grogna quelque chose dans sa barbe, je ne compris pas grand chose à part « hiver » « avion » et « Algérie » .

Je levai les yeux au ciel et glissai mes doigts gelés dans sa paume, il m'adressa un regard de biais et enfouit nos deux mains dans la poche de sa parka.

Ce qu'il y avait de bien à Deauville, au delà du fait que c'était quasiment désert en cette saison, c'était que les parisiens qui venaient ici en vacances ou en week-end n'étaient vraiment pas du genre à écouter du rap et encore moins à connaître l'existence d'Hakim. Nous étions totalement tranquilles.

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