15.1 Aslander

6.3K 727 307
                                    

Ils étaient des milliers, si ce n'est plus, à se tenir face à moi, au garde-à-vous, dans une posture où se reflétait leur respect et leur allégeance, acquise au fil des siècles, acquise, pour la plupart, lors d'heures assurément trop sombres. Les âges se mêlaient et se confondaient, offrant une large palette allant de l'homme au jeune homme formant un ensemble disparate. Tous avaient mérité leur place ici, tous faisaient partie d'un seul et même groupe, mon armée. Ils étaient les soldats qui composaient le Contingent présent sur ce territoire. À l'échelle du pays tout entier, ce n'était pas un nombre conséquent ; c'était Lothar qui avait sous son égide le plus de soldats.

Le Fief de Warren était considéré comme l'un des plus grands de par sa taille, mais surtout de par l'espace sur lequel il s'étendait. La Réserve de Tidbindilla était impressionnante. Un océan de verdure au cœur d'un pays où il y avait plus de déserts à la ronde que dans n'importe quel autre endroit. Ainsi, le Fief était découpé en deux territoires bien distincts : celui dévolu à Warren et au Kriger en lui-même et celui occupé par le Contingent. Pour autant, ce n'était qu'une délimitation invisible, qui n'avait aucun réel impact sur la Réserve.

Les soldats face à moi portaient tous le blason de ma demeure, de mon héritage. En fait, pour être tout à fait honnête, je n'avais pas gardé celui de mon père, bien que la règle l'ait voulu. Mais comment aurais-je pu fièrement porter l'insigne d'un monstre ? Ça avait été au-dessus de mes forces. Et ça le serait toujours. Je passai en revue le premier rang. Ces hommes étaient tous surentrainés, pour être capables de réagir à n'importe quelle situation ; pour être capable de se défendre et de défendre le peuple, qu'il s'agisse de lycan ou d'humain. Aucune distinction n'était permise pour nous qui vivions depuis tant d'années dans une entente quasi onirique.

Les sept lycans qui géraient ce détachement se tenaient une ligne avant les autres, portant un uniforme différent qui attestait de leur grade. Trois d'entre eux arboraient l'honorable grade d'Asters. C'était, pour faire simple, des Généraux. Il n'était pas difficile de comprendre le système de notre armée et encore moins les grades qui la composaient. C'était une transparence qui nous avait semblée importante, surtout pour le quidam. Il n'y avait que trois grades réellement importants. Le grade de Krig était dévolu aux chefs des armées ; mes Commandants en quelque sorte. Les Asters étaient les Généraux et par Fief, leur nombre ne pouvait pas dépasser plus de six. Et puis il y avait les Mihrs, les Lieutenants. Bien sûr, j'aurais pu décliner encore un peu, mais pour le coup, ça n'aurait pas eu grand intérêt. Ainsi ici, il y avait Todd, Cardinian et Reed, une des rares femmes à ce poste. C'est moi-même qui les avais choisis, tout comme j'avais choisi les Mihrs, au nombre de quatre. Quand j'y pensais, les hommes et femmes que j'avais placés à dessein sous les ordres de Warren étaient les meilleurs. Pas seulement parmi les meilleurs, non, ils étaient vraiment ceux en tête, ceux qui défiaient toutes les lois de l'excellence et c'était peut-être en partie pour ça que Warren n'était pas très apprécié parmi ses pairs, malgré son potentiel. Il faut dire que j'avais fait fort lorsque j'avais voulu avoir mon Krig personnel, mettant tous les autres sur la touche d'un seul et même coup. Personne n'avait demandé d'explication. Ils se contentaient tous de maudire Warren et de l'envier pour certains. C'était humain, ou pour le coup, typiquement animal. J'avais mis un point d'honneur à m'entourer des bonnes personnes. L'idée m'était venue d'une part de Lothar, mais aussi d'Arthur. En quelque sorte, j'avais mes propres chevaliers de la Table Ronde, sans table à proprement parler.

Je m'arrêtai devant mes Asters et les jaugeai d'un unique regard. Ils se tenaient fièrement, avec une rigueur amenée par les années et par le temps passé dans le Contingent. La plupart des soldats, d'une façon générale, y entraient très jeunes pour ne jamais en ressortir. À l'époque de mon père, bien avant sa folie meurtrière, beaucoup d'hommes étaient eunuques, pour être sûr que leur loyauté n'irait pas à leur famille, mais bien au souverain. Il y avait eu de nombreux précédents, surtout dans les pays d'Asie. La manœuvre n'était pas dénuée de sens, même pour moi. Juste un peu trop extrême. Je n'aurais pas été capable d'attendre une telle loyauté. Une telle dévotion même. Les limites étaient importantes. Essentielles à tout bon règne.

WHISPERS T1 The Whisper of my soul [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant