15.2 Aslander

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Je n'arrêtai pas de triturer ma manche, à la manière d'un adolescent qui n'avait pas l'habitude d'être vêtu de la sorte. C'était pourtant bien loin de la vérité, surtout pour moi qui avais, somme toute, une tenue différente pour chaque événement marquant. Ma préférée restait cependant mon bon vieux jean et ma chemise. Par la fenêtre, je pouvais tout regarder sans être vu. Un très bon poste d'observation, surtout quand il était question de traverser des villes. Les cris, de l'autre côté, étaient mis en sourdine grâce au vitrage blindé. Il fallait au moins ça quand on trimballait un Empereur, non ? Cette pensée me fit sourire. J'étais bien le seul à m'amuser de ça, à n'en pas douter. Je refilais des cheveux blancs à Arzhel dès que je quittais le Deity. Pauvre de lui. Je ne restais pas à proprement parlé un enfant dans l'âme ; je voulais juste garder une certaine marge de liberté rendu possible par le contrat de confiance qui me reliait aux miens. C'était un pari risqué, surtout avec les Terras les plus récalcitrants, mais pour moi, il était important de pouvoir me déplacer à ma guise au sein de mon propre pays. J'en étais moi aussi un citoyen, avant d'en être une figure de proue.

Je laissai mon lycan inspecter ce qui se passait à l'extérieur de la voiture, englobant du regard notre petit cortège. Il y avait du monde qui m'entourait ; en passant par mon Krig, jusqu'à ma Garde. Quelques-uns de mes Tricksters me suivaient de loin, leur conscience légèrement diffuse, presque imperceptible. Pour le peu que j'avais envie de les voir de toute façon, autant qu'ils fassent profil bas, tous autant qu'ils étaient. Nous roulions depuis un moment déjà, nous rapprochant de la capitale. C'était une véritable procession, marquant un jour important. Je vibrais déjà de l'effervescence de la foule, je percevais les consciences disparates de mes lycans, partout dans le pays. Aujourd'hui, j'étais vraiment au cœur de mon propre peuple et ce n'était pas seulement une façon de parler. Ce n'était pas pour imager la chose. Une vieille magie, bien plus qu'une puissance, était à l'œuvre, courant à même la terre et se déversant dans l'air ambiant. Il y avait deux points de vue en moi et pourtant j'étais partagé ; il y avait celui qui voulait que cette journée ne se termine jamais, trop heureux de se sentir autant connecté aux siens et puis il y avait cette voix, me rappelant tout ce qu'était la journée du Lys sans ma sœur, sans Arthur, sans Myrddin. Il n'était pas rare qu'un bon souvenir soit empreint de son lot de tristesse. Surtout chez les vieux lycans. Néanmoins, ç'aurait été mentir que de dire que je n'appréciais pas l'événement à sa juste mesure.

— Laisse donc cette manche, gronda Siobhane en m'assénant une tape sur les doigts.

Elle n'aurait pas pu mieux réprimander un enfant.

— Je suis toujours aussi étonnée de voir à quel point tu sembles si peu sûr de toi lorsqu'il s'agit de certaines de tes apparitions publiques, continua-t-elle, sur le ton de la badinerie.

Je fis la moue, parce qu'elle n'avait pas tort. Peut-être était-ce en partie parce que je me sentais gauche. Il ne s'agissait pas d'une question de légitimité. J'avais toujours eu grandement conscience de mon rôle et ne le remettrai jamais en doute.

Elle attrapa ma main et entrelaça ses doigts aux miens. C'était un geste d'une infinie tendresse, qui me coupa le souffle.

Je n'étais pas coutumier de ce genre d'étalage, ou tout du moins, de cette intimité. J'avais grandi loin de mes parents et même si je n'avais pas souffert de la solitude, j'avais mis un certain temps à comprendre ce qu'était l'amour. Celui-là même qui transcendait et qui vous poussait jusqu'au meilleur de vous-même. Ou au pire.

— On pourrait croire que j'ai l'habitude, mais j'ai cette appréhension, ce trac en quelque sorte, avouai-je.

Je n'avais pas peur de me dévoiler. Pas à Siobhane. Nos a priori avaient laissé place à la confiance. Et j'en étais le premier heureux.

WHISPERS T1 The Whisper of my soul [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant