Le dîner se poursuit. Je suis mal à l'aise et je voudrais même partir. Mais quelque chose me force à rester. En fait, peut-être que j'ai envie de parler, de me confier à quelqu'un sur ce que j'éprouve pour Hervé. Je me tais depuis trop longtemps, je porte tout sur mes épaules, je ne réussis pas à partager mes sentiments. Et parfois ça me pèse.
– Je suis déjà sorti avec un mec qui était très proche de son pote hétéro. Je te dis tout de suite que ça s'est mal fini parce que j'ai tout découvert au bout de quelques mois, c'est pour cette raison que je veux que tu sois franc.
Pour me donner un peu de contenance je bois mon verre de coca, je suis très mauvais comédien.
– Voilà comment j'imagine les choses, tu m'arrêtes si je me trompe. Quand vous étiez ados, Hervé et toi avez découvert votre sexualité ensemble : se montrer nu, se comparer le sexe, observer les premières érections, se faire plaisir devant des pornos ensemble. Ce genre de chose arrive souvent. Sauf que vous continuez aujourd'hui.
Ce n'est pas un dîner romantique mais une psychanalyse. Je devrais fermer les yeux, j'ai l'impression qu'il arrive à y lire mes pensées les plus profondes.
– Il y a eu un premier dérapage, vous êtes allés plus loin que la simple masturbation. Cet événement vous a choqué tous les deux, toi parce que tu as eu peur de le perdre, lui parce qu'il ne pensait pas aller si loin.
Cette nuit au camping reste un bon souvenir quand même.
– Enfin vous en avez reparlé et lui il aime que tu t'occupes de son excitation, parce que c'est toujours mieux fait par un homme. Vous êtes entre le pote et le petit copain, il ne manque pas grand-chose pour que vous formiez un couple. Lui il apprécie la situation, toi tu espères plus. Peut-être que vous avez déjà franchi l'étape supérieure.
– Non !
– Enfin tu parles. J'ai raison, n'est-ce pas ?
– On dirait que tu connais toute ma vie.
– Tu n'es pas le seul dans cette situation et c'est compliqué à gérer.
– Ce qui veut dire que c'est notre premier et dernier dîner.
– Pas du tout, Sébastien. Si tu es là ce soir c'est que tu as conscience que tu dois te construire une vraie vie amoureuse. Avec Hervé ça ne mènera à rien, il ne va pas devenir gay et vous ne finirez pas en couple.
Je voudrais le contredire sauf que même si ça fait mal, j'y pense souvent. Je n'arrive pas à me convaincre que Hervé ne sera jamais à moi, entièrement.
– Je ressens des choses pour toi, depuis le premier jour où je t'ai vu je n'ai pas arrêté de penser à toi. J'ai envie de sortir avec toi.
Je le regarde, sans pouvoir parler, je ne sais pas exactement ce qui me tétanise autant. Je me sens mis à nu, toutes mes défenses sont tombées.
– J'ai fait une erreur avec le mec que je rencardais et qui était accro à son pote. J'ai essayé de lutter contre le courant, de l'obliger à cesser de faire des cochonneries avec son meilleur ami pour en avoir l'exclusivité.
– Vous avez fini par rompre.
– La situation est devenue intenable.
Il me prend la main, là, en public. C'est une grande première pour moi, j'ai peur du regard des autres. Ici nous sommes pourtant dans un lieu bienveillant.
– J'aimerais que tu me donnes une chance. Je ne te demande pas d'arrêter tes séances de porno avec Hervé. Voilà le deal : vous continuez comme maintenant, et en même temps tu sors avec moi.
– Et ça ne te dérangerait vraiment pas ?
– Je sais que je ne peux rien t'interdire alors je préfère savoir ce que tu fais et l'accepter. Je ne te garantis pas que ça fonctionnera mais j'ai envie d'essayer.
– Je ne m'attendais pas à avoir une discussion aussi sérieuse.
– Bien sûr, tu pensais juste dîner et ensuite que je t'entraîne dans mon lit. Ce n'est pas ce que je veux, enfin je préfère une relation durable à un plan d'un soir.
Il a un niveau de maturité que je ne suis pas près d'atteindre.
– Je ne sais pas du tout quoi te dire.
– Je sais, Sébastien. Et je ne te demande pas de me répondre maintenant. Tu vas rentrer chez toi et cogiter. Après, soit tu m'appelles, soit ça s'arrête là.
Ce mec est surprenant. Il vient de me balancer ma propre réalité à la face et il veut que je digère ce qu'il vient de me dire. Il est certain que cette nuit, je ne dormirai pas...
