Il ne s'est écoulé que cinq minutes entre le moment où j'ai envoyé un SMS à Florent et son arrivée en trombe dans l'appartement. Immédiatement il vient me prendre dans ses bras et pendant plusieurs minutes je ne peux pas m'arrêter de pleurer. Quand j'arrive enfin à reprendre mon souffle, je lui raconte la scène, que j'arrive à peine à croire.
– Il est devenu fou. Pourquoi est-ce qu'il réagit comme ça ?
– C'est trop difficile pour lui.
– Mais non, c'est simple. On se connaît par cœur, on aime faire l'amour ensemble, il n'y aurait pas de couple plus parfait !
Je ne prends pas conscience de dire ce genre de chose devant celui qui est officiellement mon petit ami. J'ai l'esprit bien trop perturbé pour être raisonnable. Je ne prends même pas en compte ce qu'il peut ressentir alors que je lui annonce ce genre de chose.
– Il a en tête un certain schéma de vie, il n'est pas aussi fort que toi.
– Fort, moi ?
– Oui, tu assumes complètement ton homosexualité et tu te fiches de ce que les autres pensent. Tu veux être heureux sans avoir à rendre de comptes à la société.
– Justement, ça devrait lui servir d'exemple. Je ne vois pas de quoi il a peur.
– Il se définit comme hétérosexuel et il a construit toute son existence sur cette base. Il ne peut pas changer du jour au lendemain.
– Ce n'est pas survenu comme ça par surprise ! Il y a un moment qu'il a compris, non ?
– Sans doute, mais ça restait juste une fiction jusqu'à ce que vous franchissiez le pas le plus important.
– Je voudrais revenir en arrière et dire non, qu'il ne me fasse jamais l'amour et que tout continue comme avant.
– La rupture devait intervenir à un moment ou à un autre.
Florent va nous chercher deux verres de vin. L'alcool n'est pas la solution mais fait quand même du bien quand la vie est aussi violente !
– Il va donc choisir une vie qui ne le satisfait pas entièrement juste pour correspondre à l'idée qu'il se fait de son avenir ?
– Tu sais, il y en a beaucoup qui refrènent leurs pulsions, qui refusent d'assumer leur homosexualité et qui vivent en apparence une existence d'hétéro tout à fait... normale.
– Je déteste ce mot.
– Je sais, Sébastien, mais il ne faut jamais sous-estimer la force des codes sociaux. La pression est énorme et même à notre époque, ce n'est pas toujours simple d'afficher ses préférences.
– Il va gâcher sa vie.
– Peut-être pas. Mais un jour il se réveillera et il réalisera qu'il s'est trompé.
– Il pourrait en prendre conscience maintenant.
– C'est difficile pour lui. Comme dit pas mal de mecs épousent une femme, ont des enfants, se construisent une vie en apparence classique. Et puis un jour, souvent vers quarante ans, ils ouvrent les yeux, plaquent tout et s'épanouissent enfin tels qu'ils le voulaient depuis toujours.
– C'est complètement débile.
– Il ne faut pas juger, Sébastien. Chacun réagit différemment et il faut accepter toutes les possibilités.
– Donc je dois faire le deuil de mon amitié avec Hervé juste parce qu'il n'assume pas celui qu'il est réellement ?
– C'est dur aujourd'hui, mais cette blessure cicatrisera.
– Tu dis ça juste pour me rassurer.
– En partie, oui. Je sais que tu ne l'oublieras jamais.
J'ai beaucoup de chance d'avoir Florent avec moi pour faire face à cette situation. Il est d'une telle patience et il sait si bien exprimer la situation, l'expliquer...
– Tu restes malgré ce que je te fais vivre.
– Je sais depuis le début que tu es amoureux d'Hervé.
– Et tu me soutiens quand même.
– Parce que moi je t'aime.
J'ai envie de lui demander ce qu'il va se passer maintenant. Parce que si nous continuons à sortir ensemble persistera toujours cette idée que je suis avec lui par défaut, parce que je n'ai pas réussi à avoir Hervé.
– On surmontera cette épreuve ensemble.
Ce soir, c'est dans les bras de Florent que je vais m'endormir. Il a réussi à sécher mes larmes et à apaiser légèrement ma douleur. J'accuse Hervé de ne pas aller au plus simple et de m'aimer alors que de mon côté je complique aussi les choses puisqu'il serait plus évident d'aimer Florent...