Et pourtant la vie est plus forte que tout. On ne choisit pas les épreuves qui surgissent sur notre chemin, nous sommes juste obligés de les affronter. Je dois dire que Florent a été plus que patient, puisque pour le reste de l'année universitaire je n'ai pas vraiment été un petit copain très enjoué. Mais il est resté, il m'a soutenu, je l'admire pour l'énergie qu'il a déployée pour m'éviter de sombrer totalement. Notre relation a duré huit mois et puis il a fini par jeter l'éponge. Je le comprends et je ne lui en veux même pas. Sortir avec un mec qui en aime un autre, ce n'est pas vraiment une bonne base pour construire une relation d'avenir. Autant dire que j'ai passé le reste de mes études en célibataire, je me suis investi dans mon travail, ne cédant qu'à quelques amourettes, parce qu'il faut bien s'amuser.
J'aurais aimé qu'Hervé voie ce que je suis devenu. J'ai fini par abandonner les études d'Histoire pour me diriger vers un autre métier d'avenir : la philosophie ! J'en ai fait du chemin depuis toutes ces années puisque désormais, à quarante ans, j'enseigne cette matière à l'université. Au niveau du travail je suis donc parfaitement comblé, ma vie personnelle quant à elle est un désastre. C'est incroyable comme une personne peut entièrement vous détruire, pour aussi longtemps. Comme si je n'arrivais plus à aimer. Au fond de moi j'ai l'impression de savoir qu'Hervé est mon âme sœur, je n'arrive pas à me défaire de cette idée, je ne réussis pas à m'impliquer dans une relation amoureuse avec un autre.
Alors j'essaie de m'occuper l'esprit. Depuis cinq ans je coache une équipe de basket, regroupant des joueurs à partir de seize ans. Je me suis lancé à fond dans le sport juste après ma rupture avec Florent et je dois dire que j'y ai donné pas mal d'énergie pour atteindre un excellent niveau. Je suis un professeur dans l'âme, donc j'ai toujours envie de transmettre ce que j'ai appris, je ne sais pas de quoi ça vient. Dans le cadre de l'université je fais aussi partie du comité en charge d'accueillir les étudiants étrangers. J'adore cet aspect de mon job, c'est tellement beau de pouvoir recevoir des étudiants du monde entier dont le rêve est de venir étudier en France. Nous avons ce soir notre dernière réunion avant les vacances scolaires d'été.
– Parfait, tout est presque prêt.
L'organisatrice du programme semble gênée.
– Nous avons un arrivant de dernière minute. Il nous faut quelqu'un qui s'investisse dès cet été parce que ce jeune homme a besoin de cours intensifs en français.
Les regards se tournent vers moi. Parce qu'il est de notoriété publique que je suis célibataire, sans enfants alors que les autres ont déjà tout planifié pour partir en vacances avec leur stupide petite famille qui leur apporte tant d'amour. Mon célibat n'est pas une raison :
– Je ne suis pas professeur de français, il faut quelqu'un de qualifié.
– Dans un si court laps de temps, ce sera difficile. Et puis tu as déjà aidé des élèves étrangers à apprendre notre langue.
– Parce qu'ils avaient d'excellentes bases, je ne connais pas le niveau de ce gamin.
– Il balbutie quelques mots de français.
– Super !
– L'ambassade des États-Unis nous a directement demandé notre aide, apparemment ce sont des gens importants. Je ne pouvais pas refuser.
Parce que les États-Unis sont, comme dans beaucoup de domaines, le plus gros contributeur de notre programme d'échanges universitaires.
– S'il te plaît, Sébastien.
– Bon, d'accord.
Ils ne m'ont pas vraiment laissé le choix... Et puis ce n'est pas comme si j'avais quelque chose à faire cet été !
Ce n'est pas facile de donner des cours de français. Évidemment que je sais écrire notre langue et j'en connais les subtilités. Mais de là à l'enseigner, c'est une tout autre dimension. Sauf que lorsque j'accepte une mission, je m'y consacre à fond. Alors j'ai passé des journées entières et plusieurs nuits à préparer des exercices en espérant réussir à améliorer le français de ce gamin. Il doit intégrer le lycée à la rentrée et sa réussite repose en grande partie sur mes épaules. Je suis accueilli par ses parents.
– Merci d'avoir accepté de vous occuper de notre fils.
– Où est-il ?
– Dans sa chambre, nous voulions d'abord discuter avec vous.
Ils me posent une série de questions, pour connaître mes qualifications. Il est difficile de masquer le fait que je ne suis pas un professeur de français émérite, et que je n'ai peut-être pas ma place ici. Mais ils semblent convaincus, j'ai certainement réussi à les charmer...
– À mon tour j'ai une question. Pourquoi ne pas avoir inscrit votre fils dans un lycée international dispensant des cours en anglais ?
– Andrew ne veut pas. Il cherche à vivre pleinement cette expérience en France. Et quand il décide quelque chose, personne ne le fait changer d'avis.
– En plus nous sommes la cause de ce déménagement, alors nous voulons tout faire pour qu'il se sente parfaitement à l'aise.
– Bien, peut-être que je peux le rencontrer alors.
Nous nous levons et nous dirigeons vers la chambre du gamin.
– Bonjour, je suis Sébastien.
– Andrew.
On se serre simplement la main. L'espace d'un instant je suis totalement perturbé. J'essaie de ne pas le montrer parce que ses parents me testent toujours et observent ma réaction. J'ai quand même du mal à masquer mon étonnement. Ce gamin ressemble énormément à Hervé quand il était adolescent...