Chapitre-2:

82 22 46
                                    

Présent- 3 mars 2018

Meika se mit à trembler, elle savait que c'était elle, le problème. Son obstination à ne rien dire depuis son retour n'arrangeait rien. Elle avait eu deux semaines de répit grâce aux vacances. Le groupe parlait, mais elle ne se sentait pas à sa place. Les coups d'œil non dissimulés dans sa direction cherchaient une quelconque réaction. Elle se contentait de rester avec eux. Les pensées erraient loin des conversations de ses amis.

Une boule à la gorge se formait au creux de son cou. Un courant d'air suffirait pour qu'elle craque.

— Meika ? On te cause.

Elle haussa les épaules.

— Je sais que t'es en deuil, mais essaie de faire un effort, on te reconnaît plus.

Elle ne distinguait même plus qui parlait.

— Je te jure, j'ai envie de te secouer dans tous les sens pour que tu te réveilles un peu.

— Calme-toi, elle a le droit d'être mal.

— Elle décroche plus un mot, pire qu'une plante verte !

Les frissons s'accentuaient au fur et à mesure des remarques. Elle ne savait pas comment réagir. Elle étouffait. Elle ne possédait aucune arme pour se défendre, même plus la parole. Ses cils épais papillonnèrent et chassèrent le stress qui l'accablait. Elle aurait pu simplement partir et les ignorer, mais elle resta paralysée.

Elle se retourna une énième fois dans son lit. Elle ressassait. Son esprit divaguait et se bloquait sur cet événement. Sa tristesse se trouvait être de la frustration. Tout son univers venait d'éclater, elle qui semblait n'avoir aucun problème : des parents ensemble, des amis et un toit sur la tête.

Onze heures allaient sonner et sa mère rentra dans la chambre. Elle ouvrit la fenêtre sans ménagement, libérant l'odeur bestiale.

— Il faut t'activer, tu n'es pas une larve. Avance-toi dans tes devoirs, va voir ton petit ami.

La house de couette par terre, Meika se leva pour ne pas finir parmi les draps dans la machine à laver.

— Tu n'es plus avec lui ? questionna-t-elle en relevant la mine grise de sa fille. Avec une grand-mère pareille, c'est pas le bon exemple.

Elle ne se l'avouait pas pleinement, mais il n'avait été qu'un pansement pour oublier sa vraie rupture avec une personne formidable.

— Je raconte des bêtises, excuse-moi, c'est absurde... soupira-t-elle avant de se reprendre. Je sais ce qui pourrait te remonter le moral !

***



Habillée et nourrie, elle se trouva forcée de faire du baby-sitting quelques rues plus loin. Elle avait posé à peine un pied dans l'entrée, qu'une boule d'énergie se précipita vers elle.

— Meika, t'as apporté ton violon ?

Elle lui sourit et désigna son étui. Ensuite, assise sur le canapé, la mère de famille hésita à lui confier ses gamins quand elle apprit la situation.

— Franchement, tu mérites un après-midi à toi toute seule. Tu es débordée de travail depuis un mois. Puis Meika a fait ses preuves, non ? Elle divertit merveilleusement bien les gamins, argumenta Katy en portant la tasse de café à ses lèvres.

L'adolescente chuchota quelque chose à l'oreille du garçon. Elle venait de lui révéler l'activité de cet après-midi.

— Regarde, elle discute avec lui. Tout va bien se passer. Elle va avoir seize ans, elle est mature.

Sa mère la défendait et elle lui en était reconnaissante. Son idée était bonne : elle avait vraiment besoin de se changer les idées.

— D'accord, j'ai confiance en toi. Tu as toujours été sérieuse. Je reviens à dix-huit heures, céda la cheffe de maison.

Quand la porte d'entrée se ferma, elle se retrouva avec ces deux énergumènes, âgés de huit et neuf ans.

— J'ai trouvé les couvertures ! cria Mathilde, la cadette, du haut de l'escalier.

Tout le matériel pour construire une cabane était à disposition. Un coup d'aspirateur plus tard, un énorme tas de coussins se plaça en dessous des marches en bois. La tradition devait être respectée.

— Fais gaffe ! La pince à linge va tomber, avertit Meika d'une voix enjouée.

Depuis plus d'un mois, elle ne parlait qu'aux enfants. Elle en ressentait le besoin. Le petit espace confiné lui rappelait les longues soirées à se raconter des histoires. Une scène s'était montée, composée du fauteuil. Les volets clos, seule la lumière des lampes torches éclairait la pièce. Ils allumèrent la lampe de chevet, puis Gabriel et Mathilde se mirent en tailleur pour attendre le début du spectacle.

Elle se mit sur l'estrade de fortune, les vertèbres bien emboîtées. Elle saisit le manche, posa délicatement la base contre le cou et positionna correctement l'archet. Comme le disait sa professeure :

« Le violon est un cri du cœur. Les notes sont si difficiles à atteindre qu'elles en deviennent précieuses et rendent cet instrument unique ».

Il avait fallu des années de pratique pour être juste. Elle effleura les cordes du bout des doigts et en sortit un son insupportable. Une sensation étrange accompagnait tous ses gestes.

— Vous voyez, c'est impossible de réussir du premier coup. Il faut être patient.

Un sentiment de triomphe la submergea quand elle reprit le coup de main. Son visage reprenait vie. Ses paupières closes, la mélodie coula en elle. La lueur au creux de son ventre resplendissait. Les fausses notes se répétaient de temps en temps, mais cela ne l'ébranla pas un instant.

Elle boucla la partition sous les applaudissements de son public privé.

— Je veux faire du violon ! s'exclama Gabriel, ses yeux bleus pétillants.

Sa sœur semblait moins motivée, mais elle l'encouragea. Meika lui montra comment faire, même si le violon n'était pas adapté à lui.

Il fit la moue. Le son n'était pas aussi joli qu'il l'espérait. La nourrice le rassura et lui expliqua les bases. Attentif et réceptif à tout ce qu'elle disait, il comprenait assez bien.

— Comme ça on s'en fichera de ton nez tordu, Gab'. Ils verront un grand musicien !

Les propos de Mathilde faisaient écho dans le cœur de l'aîné. Meika approuva et ils continuèrent à s'amuser.

L'heure du goûter s'approchait. La propriétaire l'autorisait à cuisiner. Les crêpes étaient la meilleure solution pour se réchauffer, même si la chandeleur datait d'un mois. Leur rôle était attribué, Mathilde était la magicienne de la farine, elle pouvait en peser au gramme près. L'autre acolyte était l'illusionniste, il cassait un œuf en plantant une aiguille à l'intérieur. Meika était la mère fouettarde, mélanger les ingrédients était sa spécialité. La crêpe ne se terminait pas toujours dans une assiette, mais ils s'amusèrent. Elle avait toujours été à l'aise avec les marmots — comme elle les appelait.

— Pas de chocolat à l'intérieur, je vous propose de deviner quel ingrédient c'est.

Tous les fruits de saisons y passaient. Elle rigolait devant leur frimousse qui abordait tantôt des grimaces et parfois un grand sourire. Elle se permit une fantaisie en mettant un peu de poivre avec du citron. À son plus grand étonnement, Gabriel aimait bien. Malheureusement, le temps lui manquait pour la séance de peinture. Une voiture venait de se garer devant la maison, cela signait l'arrêt des festivités.

***

Les deux mamans discutèrent pendant qu'ils finissaient de ranger. Une bribe de la conversation arriva aux oreilles de la jeune asiatique.

— Tu te rends compte, ce gamin était dans la classe de Gabriel. Je crois même qu'il jouait ensemble à la récréation. Ça lui a fait un choc d'apprendre sa mort. J'ai eu vraiment peur mon Gab', imagine s'il l'avait influencé !

— Sont-ils sûr que c'est un suicide ? Tu ne peux pas vouloir mourir à neuf ans ! ajouta Katy.

Elle prit son temps pour plier la couverture.

— Il a dû lui arriver une chose horrible. La famille de Rory doit être effondrée.

— Si elle n'est pas impliquée !

C'était sûrement à cause de ce genre de discussion qu'elle préférait celle avec les bambins. Certains diraient qu'elle se voilait la face, qu'ils n'étaient pas dans un monde de bisounours. D'après les adultes, le monde évoluait avec ce genre de conversation. Elle ne voyait en cela qu'un débat stérile, teinté de jugements et de suppositions alors que leur seule source d'informations était les médias et la télévision.

Nous nous distrayons pour fuir le temps. On fait avancer l'humanité en essayant de ne pas s'ennuyer. Moi, je lisais tellement d'histoires différentes que j' en oubliais la mienne.

₪₪₪₪₪₪₪₪₪

Je mets en place de l'intrigue, reste à savoir si ça vous plaît. N'hésitez pas à donner vos avis ou à partager cette histoire si le cœur vous en dit.

Bonne lecture !

Courir après la mort. [FINI]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant