Présent- 28 juillet 2018
La suite de l'après-midi se déroula sans encombre, du moins en apparence. Même si Meika demeurait avec les deux monstres, chacune de ses paroles faisait office d'une vérification. La chaleur se dégageait par les crêpes dans la poêle. Gabriel était encore plus survolté depuis qu'il avait su pour le rendez-vous galant de ce soir. Wendie ne le montrait pas mais elle n'était guère enchantée. Les deux femmes ne se parlaient jamais directement, leurs actions respectives démontraient leur animosité. La décision finale était donnée par sa colocataire mais parfois, l'adolescente parvenait à s'imposer. Rory était parti sans demander son reste.
La fin de son baby-sitting sonna, son départ attrista les énergumènes mais elle leur promit de revenir au plus vite. Le soleil illuminait les rues avec une douce couleur rougeâtre. La tiédeur la ramenait dans le moment présent, elle n'avait jamais pris le temps d'observer les alentours. Le lotissement accueillait immeubles et maisons. Pendant un court instant, elle avait l'impression d'être à nouveau seule. Un fantôme l'observait d'un balcon et un autre un peu plus loin lisait aux côtés d'un vieillard. Le monde était peuplé de ces êtres invisibles et peu de personnes en avaient conscience. Son plexus solaire émettait une douce lumière.
Elle remonta dans son appartement, une bonne odeur de nourriture réveilla ses papilles gustatives et lui rappela la venue d'une invitée. Son père la salua chaleureusement, une cuillère en bois dans une main et la casserole dans l'autre. L'heure du repas approchait et sa mère ne se priva pas de le lui faire remarquer. C'était surprenant de voir ses parents s'investir autant pour son ancienne petite amie. Fabrice avait très bien réagi à l'annonce de sa pansexualité. Au moins, elle n'avait pas à camoufler cette part d'elle.
La sonnette résonna et la jeune femme resta au bord de son lit pendant plusieurs secondes. Meika avait repris un tout petit peu les rênes et avait juré de ne rien tenter. Elle désirait juste retrouver sa moitié, peu importe si ce n'était que pour quelques heures. Sa frange fraîchement coupée était parfaitement bien ajustée et son chemisier bleu n'avait aucun pli. Le stress se décupla quand elle arriva dans le salon. La cheffe de maison lui faisait la bise avec un immense sourire et Fabrice ne tarda pas à l'imiter.
Les yeux noirs de la nouvelle venue croisèrent les siens. Sa coupe afro lui avait tellement manqué. Le bisou sur sa joue était trop appuyée pour que cela ne passe inaperçu pour l'étudiante. Tous ses sens étaient aiguisés et elle percevait chaque mouvement dans la pièce. Le sourire de Maria était visible à des kilomètres, ses dents de devant étaient légèrement écartées mais cela lui donnait un charme fou. Avait-elle déjà constaté à quel point elle était belle ? Les pupilles pétillantes des deux jeunes femmes remplaçaient les mots. La joie de se retrouver dépassait les habituels discours de retrouvailles. L'aîné coupa ce moment de flottement en proposant de s'installer.
Maria n'eut pas de mal à discuter avec ses géniteurs. Elle expliquait son projet d'étude avec passion. Elle souhaitait intégrer le conservatoire à Paris, où sa sœur pourrait l'accueillir. Son annonce avait mis un coup au morale de sa voisine de table. Cette dernière demeurait silencieuse et fixait avec intensité la salière.
La fin du dîner se profila et Maria partait bientôt.
— Elle est là pour toi et pas pour parler avec des vieillards comme nous. Tu devrais t'expliquer avec elle, murmura Katy en se penchant pour attraper les couverts.
Maria se trouvait aux toilettes et Fabrice était trop absorbé par sa vaisselle pour faire attention à elles.
— Je ne sais pas comment crever l'abcès, ça fait si longtemps qu'on s'est pas vues, répondit-elle, l'éponge à la main.
Le centre du sujet les rejoignit, coupant court à leur conversation.
— Mon père vient me chercher dans une demi-heure.
Le regard de l'aînée en disait long.
— Ça te dit qu'on aille marcher un peu ? proposa la lycéenne sous les approbations presque trop enjouées des adultes.
Elles sortirent après des au revoir élogieux, qui génèrent les deux enfants. Les grillons firent la discussion pendant plusieurs minutes jusqu'à que Meika prenne son courage à deux mains pour se lancer :
— Ça me fait bizarre de te revoir. J'ai conscience que je n'ai pas été très tendre avec toi.
Un ricanement nerveux lui répondit. Malheureusement, la luminosité était trop basse pour apercevoir sa véritable expression. Leurs pas étaient synchronisés.— Tu m'as manqué, avoua Maria en faisant craquer ses os. Comment te dire, je suis allée te voir une seule fois, pas parce que je m'en fichais de toi hein, non, c'était trop dur de te voir dans cet état là.
Ses doigts attrapèrent les siens et elles continuèrent à avancer. Chercher le contact entre elles était devenue quelque chose d'étrange mais cela leur raviva de multiples souvenirs.
— J'étais dans le déni total. Quand je suis partie avec ma sœur, mon cerveau a refusé d'évoquer ta situation. C'était comme si tu n'existais plus.
Même si c'était inconscient, l'entendre à voix haute lui fit un pincement au cœur. Sa voix tremblotante atténua son amertume. Elles atterrirent au bord d'un champ, les arbres les isolaient des lotissements aux alentours. Deux ans plus tôt, Meika avait rêvé de passer un été dans les bras de quelqu'un. Aujourd'hui, elle partageait son corps avec un esprit, après être restée trois mois dans le coma. Comment avait-elle pu en arriver là ?
— Quand j'ai su que tu t'étais réveillée, les sentiments que j'avais refoulés pendant des semaines sont remontés un peu trop violemment à mon goût, poursuivit-elle en tentant de contrôler ses bafouillements.
Ne tenant plus, elle l'enlaça fermement. Des larmes ne tardèrent pas à couler.
— Je suis là maintenant, souffla-t-elle en resserrant son étreinte.
Elle aurait presque pu croire que tout était normal, qu'un simple baiser et une bonne discussion régleraient le problème.
— Penses-tu qu'on pourrait essayer à nouveau ?
La question de son ancienne petite amie fit enfin réagir Wendie. La lycéenne n'eut le temps d'accepter qu'elle fût propulsée dans le Noir. La panique l'accapara, elle n'avait plus aucun contrôle. Qu'est-ce qu'elle allait faire ? Des tremblements surgirent dans ses phalanges avant de se répartir dans tous ses muscles. Des flashs surgirent dans la nuit.
— Non, je ne t'aime plus comme avant, entendit-elle de sa propre bouche.
Le visage de Meika se décomposa et elle s'éloigna d'elle.
Tout avait été parfait.
La réplique de son interlocutrice était intelligible mais son ton ne laissait plus de doute : elle venait de la perdre. Ses paupières se fermèrent mais ce n'était pas suffisant pour chasser les images.
— Je crois qu'on n'a plus rien à se dire, clama Wendie en reprenant le chemin du retour.
Comment la situation avait-elle pu dégénérer aussi rapidement ?
« Je n'ai jamais été libre, ce n'était qu'une illusion, » pensa-t-elle en s'asseyant.
Les bras autour de ses jambes ne parvenaient plus à l'apaiser. Les deux corps marchaient côte à côte, sans qu'aucune parole ne soit prononcée.
C'était un cauchemar.
Comment avait-elle réussi à l'oublier aussi vite ? Pendant des jours, son âme avait erré ici sans repère. Sa tortionnaire lui avait donné un semblant de libre arbitre.
Ce n'était qu'un mensonge.
Elle l'autorisait certaines choses pour mieux l'enfermer. Faisait-elle pareil avec Rory ? La manipulation était plus facile sur un enfant de huit ans. La vie du rouquin s'était arrêtée à cet âge. Les deux années avant sa mort ne comptaient pas.
Les géniteurs sursautèrent quand Maria fit une entrée fracassante. Elle avait oublié son téléphone.
— Merci beaucoup pour ce repas, vous êtes vraiment gentils. Bonne soirée, salua-t-elle en s'efforçant de garder la face.
— Tu pourrais la raccompagner, réprimanda Fabrice en voyant sa fille se diriger vers sa chambre.
— Ce n'est pas nécessaire, répliqua l'invitée d'un ton sec avant de sourire aux parents.
La porte se ferma sous leur regard ahuri.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? questionna Katy en s'approchant d'elle.
— C'est du passé, clôtura l'adolescente. Je suis fatiguée, à demain.
Non, ça ne pouvait pas finir ainsi, ce n'était pas sa décision. Ce n'était plus sa vie, si cela continuait, elle n'aurait aucun moyen de réparer les erreurs de sa colocataire. Une peur surgit de ses entrailles, l'accumulation de ses semaines de sursis. Serait-elle condamnée à perpétuité ? La rage prit le dessus sur la fuite et elle se leva pour l'affronter. La future dormeuse ne parvenait pas à s'assoupir à cause des pensées de Meika.
— Libère-moi, tu m'as tout volé. Te vois-tu avec une famille qui n'est pas la tienne, avec des amis que tu ne connais pas réellement, une personnalité qui ne colle pas à la locataire d'avant ?
Elle avait hurlé et ses bras étaient grands ouverts.
— Tu n'as pas seulement pris ma place, tu la détruis. J'ai un passé tu sais et même si à la rentrée je vais ou plutôt nous allons changer de vie, la mienne viendra sans cesse t'empêcher de tracer un trait sur moi.
C'étaient des belles paroles mais seul un mur lui répondait. Les émotions de son interlocutrice étaient inaccessibles. Au fur et à mesure que la lycéenne stagnait ici, dans ce Noir indéchiffrable, la folie la guettait. Ses pas résonnèrent dans cet endroit qui n'avait pas de délimitation.
Quelque chose de doux vint lui frôler la joue, elle l'attrapa de justesse. La plume de corbeau se décomposa entre ses doigts.
— Tu ne survivras pas.Je veux vivre. Je veux vivre, s'il te plaît, j'ai peur de mourir...
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Courir après la mort. [FINI]
ParanormalSuite au décès de son beau grand-père, Meika s'est refermée sur elle-même. Un terrible accident la plonge dans un profond coma où elle ne reste ni immobile ni même inconsciente. Elle n'a qu'une idée en tête : comprendre le passé de cette famille rec...