Chapitre-24 :

36 7 9
                                    

Présent- 24 mai 2018

Meika arriva à la destination avec difficulté. La fatigue la tirailla un instant, une sensation qu'elle avait oubliée. Elle avait atterri dans le jardin. Les fleurs émergeaient dans chaque recoin, les saisons changeaient une à une et elle était toujours dans le même état. Elle s'étonnait encore de parvenir à se déplacer pratiquement où elle souhaitait. Rory avait certifié qu'en général, les esprits étaient reliés à leur maison. George aurait dû se retrouver chez lui mais l'oiseau empaillé devait l'en empêcher. Avait-il été détruit ? Elle frissonna, même si c'était juste un lâche, il ne méritait pas ce sort. Elle enchaîna sur d'autres interrogations pendant qu'elle marchait. Avait-il exactement le même don qu'elle ? Nathanaël avait affirmé que la projection astrale était accessible pour tout le monde. Les Pikerman avaient peut-être une certaine facilité à détacher le corps et l'esprit. George dormait-il vraiment la nuit ? Le tonton Jojo lui était apparu à chaque fois qu'elle venait chez sa grand-mère.

Sa rêverie fut de courte durée car les volets s'ouvrirent. Le soleil se levait déjà, la nuit avait été brève. Elle cessa de se poser des milliers de questions et se concentra sur son nouvel objectif. Rory lui avait demandé de l'aider alors elle tiendrait sa promesse.

Nathanaël se trouvait dans le salon, les cahiers grands ouverts devant lui. Son beau-père était absorbé par la vaisselle et sa génitrice le toisait avec tristesse, sirotant un thé.

— Vis un peu, tu vas la réussir ton année, soupira-t-elle en s'asseyant à côté de lui.

Il tenait sa chevelure rousse de la mère, contrairement à son géniteur qui était blond vénitien.

— J'ai des mois de retard, je veux donner le meilleur de moi-même. Puis ça me permet de penser à autre chose, marmonna-t-il en attrapant une règle.

Il lança une pique, qui fut entendue uniquement par Meika :

« Vous avez déjà fait le ménage avant moi, je dois vous rattraper. »

L'allusion concernait son frère et les photos de lui qui avaient disparu. Le silence prit place et les couverts tombant dans l'évier rythmaient la conversation inexistante. Il rassembla toute la papeterie et passa devant le fantôme en la saluant :

« Fais comme chez toi Meika et félicitation tu as pu rencontrer mon autre beau-père. »

Elle se maudit pour avoir pensé à cela pendant les dernières minutes. Elle le suivit dans son cocon, orné de photographies. La différence était flagrante, la chambre était beaucoup moins sombre que dans l'autre appartement. Aujourd'hui, elle avait tellement appris sur lui. Et cette histoire était complètement dingue, la tromperie n'était pas seulement monnaie courante chez elle.

« Si tu veux faire des commentaires sur ma vie familiale, tu peux aller plus loin, je me concentre. »

Son attention se focalisait sur son livre de cours mais il écoutait attentivement les pensées de Meika. La porte s'entrouvrit et sa mère passa sa tête dans l'encadrement. Elle essayait de ne pas faire attention aux clichés sur le mur.

— Tu vas chez ton père ce soir puisque le week-end dernier, il n'a pas pu ?

Il acquiesça, serrant avec force son stylo. La cadette se retourna vers lui, interloquée.

« Ça fait vingt jours que tu ne l'as pas revu !

— Je me retiens de balancer des remarques parce que tu n'y es pour rien mais j'ai vraiment envie que tu restes en dehors de tout ça. »

La doyenne partit discrètement, n'ayant pas conscience de la bataille qui faisait rage dans le crâne de son fils.

— Je sais mais je veux t'aider comme tu l'as fait pour moi, reprit-elle, cette fois à voix haute.


« Je ne t'ai pas aidé », souffla-t-il en prenant son sac.

Elle s'avança vers lui, déterminée à lui dire ce qu'elle avait sur le cœur.

— Ton père t'aime, s'exclama-t-elle. Et il s'en veut pour Rory et maintenant pour toi, il a rejeté toute cette haine sur quelqu'un. Toute sa vie, on a dû lui rabâcher qu'il faut avoir une femme et des gosses. On ne peut pas imaginer à quel point les homosexuels ont été tellement maltraités. Les mœurs sont encore ancrées dans nos têtes, les stéréotypes du genre, une voix efféminée, des trucs de « filles ».

Il lui balança qu'elle n'était pas légitime à en parler. Les pensées pouvaient être violentes mais elle savait que c'était sous le coup de la rancœur.

— J'ai été moi-même enfermée dans cette bulle. Je n'aime pas les filles ou les garçons, j'aime une personne, pas un appareil génital. Et tu sais quoi ? J'ai reversé aussi tous ces clichés sur mon ex, Maria mais c'était inconscient.

Sa mâchoire se contracta.

— Ça n'excuse en rien à ce qu'il t'a fait subir toi et ton frère mais ça explique toute cette colère. Franchement, quand on comprend les raisons qui poussent quelqu'un à faire du mal à soi-même et aussi aux autres, on peut se mettre à sa place et lui pardonner.

Elle disait cela avec ses tripes. Combien de fois elle s'était fait du mal à cause de ça ? Elle avait une vie tellement bien. Elle avait tâché son paradis avec des problèmes qui auraient pu être évités si elle avait mieux communiqué. L'adolescente aurait avoué à Maria qu'elle avait peur du jugement des autres.

Courir après la mort. [FINI]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant