"L'hiver 1829 ne nous fut pas favorable; trop froid, il traîna plusieurs mendiants dans les villages, à frapper à nos portes alors que nous n'avions déjà rien. Ma mère avait utilisé ses pauvres économies pour nous acheter un peu de réserves pour l'hiver; qu'elle rationna en me donnant la plus grande part. Au printemps, nous ne possédions plus un sous. Même Monsieur de Douarnez avait dû se serrer la ceinture en prévision de la mort d'une partie de ses vignes. L'année promettait en tout cas d'être dure, et mon travail, combiné à celui de ma mère, ne suffirait pas à refaire nos réserves pour l'hiver prochain.
Ce fut en avril que l'on trouva la solution; le roi voulait une offensive définitive sur Alger pour en finir avec le Dey Hussein. Celui-ci était immensément riche; une part de sa fortune était promise à ceux qui s'engageaient.
J'exposai donc cette possibilité à ma mère, que j'eus du mal à convaincre, mais il fallait se faire une raison; je serais nourri, logé, blanchi, et je pourrais envoyer une partie de ma solde. Elle me laissa me rendre à Nantes une semaine plus tard, où je dus subir plusieurs épreuves avec d'autres jeune hommes, notamment la très attendue et très redoutée visite médicale, où on conclut sans trop de mal que je n'étais ni malade, ni estropié, ni idiot et que je faisais bien la bonne taille. On me demanda si j'avais de la famille, une femme, des enfants. Si, dans ce cas, je travaillais pour leur fournir une situation décente. Je leur répondis honnêtement, et ils le notèrent. Du moins, je le supposai; je ne savais ni lire ni écrite. Cela ne m'avait été d'aucune utilité pour le moment, et nous n'aurions de toute façon jamais pu payer quelqu'un pour qu'il m'apprenne.
J'aperçus alors du coin de l'oeil, en me rhabillant, un visage que je connaissais à côté de moi. C'était Maël de Péradec, le neveu un peu trop sanguin du baron, que je voyais toujours de loin corriger les petits teigneux du village. Il me jeta un coup d'œil et me salua d'un hochement de tête en reboutonnant sa chemise. Je le regardai, effaré.
'M'sieur? parvins-je à balbutier.
-Maël, me répondit-il en me tendant la main. Vous devez être le fameux Donatien, qu'aucune tête brûlée n'ose approcher.'
Je lui rendis son salut en riant de bon cœur. Ma réputation atteignait le manoir, alors!
'C'est sûrement parce que j'suis d'belle carrure, M'sieur. J'dois avouer qu'vous n'êtes pas mal non plus, en parlant de tête brûlée.'
Il leva un sourcil éloquent. Monsieur de Péradec était plus petit que moi, sans surprise, et moins large d'épaule, mais je ne doutais absolument pas qu'il ait pu finir avec Joséphine, ne serait-ce qu'en examinant son port de tête altier malgré son regard simple.
VOUS LISEZ
Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Ficción históricaPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...