"Nous passâmes un mois à Alger, sans vraiment savoir ce qui nous attendait. Le premier matin fut d'ailleurs très agité."
"Il faut dire qu'au lieu du son des cloches pour l'angélus, comme tous les matins, retentit un cri. Il venait sûrement de dehors, du lointain, et ressemblait à une lamentation, ou un drôle de chant, qui nous fit sauter sur nos pieds, en état d'alerte. Nous croyions tous qu'il s'agissait d'un cri de guerre, ou d'un attentat, et que nos ennemis étaient en train de reprendre la ville. Notre lieutenant, d'abord étonné de nous voir sursauter ainsi, finit par éclater de rire.
'Du calme! Ce n'est que l'appel à la prière, Messieurs! Pas une déclaration de guerre!'
La remarque faite, il partit, de bonne humeur grâce à notre réaction, voir ses supérieurs.
'En même temps, on pouvait pas savoir que c'était un appel à la prière. On en a jamais entendu', nous excusai-je.
Les autres m'approuvèrent avec conviction.
'On a pas idée d'crier comme ça à l'aube!' renchérit l'un d'eux en reboutonnant sa veste.
Je n'étais pas le seul à me lever du mauvais pied. Nous croyions qu'il s'agirait de notre première vraie nuit depuis Sidi-Ferruch. Une nuit de plus de trois heures."
"Je cherchai mes amis du regard; Esteve roulait sa couverture en marmonnant avec humeur des choses incompréhensibles, sans doute dans son patois. Quand à Maël, son paquetage était fait depuis un bout de temps, et il priait, comme tous les matins où nous ne nous faisons pas tirer dessus. Je me demandai vraiment comment la religion pouvait tenir une place aussi importante dans sa vie en plein temps de guerre. Moi, j'essayais de mettre un peu mon catéchisme de côté et de ne plus penser au Christ pendant un moment, chose que je réussissais assez bien jusqu'alors. Mais Maël... prier avait l'air de lui apporter la sérénité dont on manquait cruellement.
'Faudrait peut-être que j'm'y mette.
-Que tu te mettes à quoi?'
Esteve me fixait, les sourcils froncés.
'À prier. Ça a l'air de l'calmer.
-Vas-y, va te retrouver en face du Père Éternel et te faire bien tirer les oreilles pour tous les gens que tu tues.
-C'est des musulmans, c'est peut-être pas aussi grave? Si?
-On est pas là pour faire un débat philosophique et religieux, tu sais. Tu n'as pas signé pour devenir le patriarche de Constantinople.'
Comme tu peux t'en douter, ma chérie, je n'avais absolument aucune idée de qui pouvait être ce patriarche de Constantinople.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Historische RomanePrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...