"La prochaine fois que nous nous reverrons, Monsieur Dieudonné, je veux que vous me rameniez cette lettre. Je ne pourrai pas la citer de mémoire, déclara Iris en rompant son récit.
-Vous m'aviez dit que vous ne vous rappeliez plus très bien du nombre d'enfants que vos parents avaient eus, rétorqua le biographe en souriant.
-Et bien je m'en suis à nouveau souvenue. Je vous accorde que c'est etrange; mais quand je vous parle, j'ai l'impression que ma langue mène sa propre vie! Enfin, du vent, le scribe. Vous avez encore du travail, je ne voudrais pas vous retarder davantage; vous le faites très bien sans moi."
Le sourire de Théophile s'élargit davantage, et ce dernier prit congé.
Le journal l'attendait, bien rangé au fond de son armoire afin qu'il ne vienne pas l'envie à don nouveau compagnon de chambrée d'y jeter un oeil. Pour l'heure, seules ses affaires traînaient sur sa chaise; le biographe en profita pour emprunter le bureau commun et recommença la lecture, bien décidé à en finir.
"L'émir nous garda les deux mois d'été dans le camps. Nous fûmes autorisés à passer nos après-midis dehors, devant notre tente, pour profiter du peu de vent qui rafraîchissait nos pauvres carcasses. Nous n'étions pas des dangers, désarmés et ignorant notre emplacement. De toute façon, personne ne venait nous parler."
"Maël put enfin sortir, une ou deux heures seulement au départ, puis jusqu'au repas du soir. Leurs médecins lui avaient déconseillé de trop s'exposer au soleil, histoire que la plaie ne chauffe pas trop sous les bandages, ou je ne sais plus quoi. Et trop de lumière d'un seul coup aurait pu le fatiguer. Moi, je ne m'étais jamais habitué au climat de la région.
'Meurs pas, hein, Donatien, me conseilla Esteve alors que je m'étais étendu contre la toile. On a déjà Maël à s'occuper.'
Le concerné secoua la tête, à présent habitué à ses bêtises, et je grognai:
'J'ai moins chaud quand j'fais les moissons.
-Un grand gaillard comme toi? Remarque, tu appelles ta mère après deux petits coups de fouet...
-Ça fait mal.
-Eh, le coup de faucille que tu t'es pris sur la main gauche, que je vois la cicatrice, là, je suis sûr qu'il a dû faire plus mal!'
Je ne répliquai pas; on avait dû me recoudre après cet accident-là.
'En tout cas, il y en a que je suis surpris de voir tranquille, continua le Provençal en désignant Thierry de la tête.
-Qu'est-ce tu m'veux, encore? soupira celui-ci.
-Il fait pas froid, en Lorraine?
-Plus froid qu'chez, toi, en tout cas. En hiver, on peut avoir d'la neige jusqu'aux g'noux. Jusqu'à la taille, dans les cas sérieux. C'est pire dans les montagnes, j'ai pas à m'plaindre.
-Oui, mais là, on est loin de la neige. Alors comment tu arrives à résister à ça?
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Historical FictionPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...