"Nous regardâmes tous Yusuf avec stupéfaction.
'Attendez, dit Thierry. Vous voulez dire que l'homme qu'on a vu, là, celui qui nous a sauvé la vie, c'est celui qui est v'nu nous tirer dessus y a trois mois?
-La situation est différente. Vous êtes des prisonniers. Il est hors de question que l'on vous traite mal.
-Ah, oui, vous vous en êtes personnellement assuré, grinça Estève.
-J'aurais très bien pu te laisser pourrir tout seul dans cette grotte, répondit l'interprète.
-Vous nous auriez laissé pourrir dans tous les cas dans cette grotte si votre émir ne vous avait pas ordonné de lui rapporter l'état de ses prisonniers.
-Si j'ai peu d'estime pour toi, mauvaise graine, je respecte ton ami qui se trouve en ce moment à souffrir le martyr sous une tente à quelques pas de nous. Je n'allais pas laisser quelqu'un de droit mourir sous ma surveillance.'
La femme qui nous guidait se retourna, alertée par le ton qui montait. Elle en demanda sûrement la raison à Yusuf, qui la rassura en inclinant la tête plusieurs fois. C'était une noble dame. J'apprendrais plus tard qu'il s'agissait de Lalla Zohra, la mère de l'émir."
"Quand nous arrivâmes à la tente, elle se plaça en face de nous et nous dit, avec l'assistance de Yusuf:
'Dieu vous a laissé une chance en vous menant ici. Nombreux sont les ennemis que mon fils a terrassés dans les nombreuses batailles qu'il a menées contre vous. Il ne souhaite pas vous nuire, pas plus que moi, surtout après ce que vous avez fait pour notre famille. Cependant, vous êtes des prisonniers, et nous vous considérerons comme tels jusqu'à ce que votre général décide de nous retourner nos prisonniers. En attendant ce jour, vous pourrez demander ce dont vous aurez besoin à Yusuf, qui viendra régulièrement vous voir, et aux gardes. Je veillerai à ce que vous soyez bien traités.'
Tout en elle semblait aimable; elle me rappela ma mère. Mais Yusuf faisait en sorte de traduire ce qu'elle disait dans un français que l'on ne parlait pas entre voisins.
'Madame, tentai-je, Maël, il va lui arriver quoi?'
Yusuf lui traduisit ma question, et elle me répondit avec un hochement de tête compréhensif:
'Votre ami a accompli une bonne chose. Dieu lui inflige une épreuve en passant par la blessure qu'il a reçue pour racheter ses fautes. Dans Sa grande mansuétude, Il a vu qu'il pouvait encore être sauvé.
-Donc, si j'comprends bien, il en bave parce que son âme doit aller au Paradis?'
La dame acquiesça, mais Thierry demeurait sceptique. Je t'avouerai que moi, je voulais bien y croire. En tout cas, personne ne protesta. Nous entrâmes sous la tente et elle nous laissa nous reposer, toujours en compagnie de notre interprète et de nos gardes, qui patientaient devant la porte. Dès que nous n'entendîmes plus de bruits de pas, les questions fusèrent. Qu'allait-on devenir? Ou était Maël? Que lui faisaient-ils? Qu'allaient-ils nous faire, à nous? Yusuf nous fit taire d'un geste de la main.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Fiction HistoriquePrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...