Théophile, dès qu'il fut revenu dans sa chambre, s'installa à son bureau et rouvrit le deuxième cahier.
"Je repris conscience allongé sur le dos. On m'avait traîné loin, très loin des combats, et très loin de nos troupes. On me fit asseoir de force, comme mes amis qui se trouvaient à mes côtés. Leur présence me rassura un peu; ils étaient tous encore vivants."
"Les hommes qui nous avaient capturés nous tenaient en joue avec nos propres armes. Esteve y avait gagné une belle estafilade et un oeil violet.
'Ah, tu es réveillé, constata-il.
-Il s'est passé quoi?'
Quelque chose cognait contre mon crâne, et ma vision se perdait encore par moment.
'Oh, trop rien. Ça fait juste un bon moment qu'on est là. Ils nous ont fait comprendre qu'on devait te transporter. Tu es un poids-plume toi, tu sais?'
Je ne protestai pas, trop abruti par le coup.
'Et on est où?
-Absolument aucune idée. Loin de Mostaganem, je suppose.
-Et on attend quoi?'
L'un des ennemis, qui nous regardait avec méfiance parler, me cria quelque chose en me menaçant de ma baïonnette.
'Je crois qu'il veut qu'on se taise, suggéra Esteve. J'ai pas envie de les énerver.'
Je hochai la tête, et tout retomba dans le silence. Thierry gardait ses yeux fixés au loin, impassible, et Maël semblait égaré dans ses pensées, son regard comme attiré vers le sol. Nous attendîmes un moment dans cette position, jusqu'à ce que nous entendions des bruits de sabots se rapprocher. Six cavaliers apparurent bientôt, en habits de guerre et le sabre au côté. L'un d'eux posa pied à terre et se mit à discuter vivement avec l'un de ceux qui nous prenaient en otage. Puis les cinq autres descendirent de leurs montures eux aussi et nous relevèrent pour lier nos mains à leurs selles. Esteve essaya encore de se débattre et on lui décocha un coup de poing pour le calmer. On me poussa aussi, estimant peut-être que je mettais trop de temps à coopérer. Et sans plus de cérémonie, nous partîmes."
"Il nous fallut deux jours de marche pour atteindre notre but. À notre grande surprise, nous fîmes plusieurs haltes et nos ennemis nous donnèrent à manger et à boire, avec réticence.
'Ils nous veulent en vie, marmonna Thierry. Ils vont pas nous tuer.
-Ou alors ils veulent gâcher leur nourriture, proposa Esteve.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Ficción históricaPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...