"Je savais très bien que tout le monde n'approuvait pas la colonisation de l'Algérie. Moi-même, j'étais contre.
'Comment on peut vouloir leur apprendre les Droits d'l'Homme alors qu'ils laissent nos familles crever la dalle au pays? Y a d'ses jours ou ça m'tue.
-Dur d'être un libérateur, pas vrai?'se moqua Estève en essorant sa chemise.
Je me concentrai sur ma tâche. La clémence du temps nous laissait le loisir de laver quelques uns de nos vêtements; nous avions une chemise de rechange dans notre baluchon, et nous tournions ainsi. Janvier venait de commencer, et une bataille s'était déroulée le 6 entre Abd El Kader et le Général, que ce dernier avait gagné. Depuis ce jour-là, des grands personnages arrivaient sans cesse à Mascara, et le camp s'élargissait régulièrement."
"Pour changer de sujet, j'annonçai:
'On dirait qu'on va plus rester très longtemps prisonniers.
-On dit ça à chaque fois et on patiente toujours un mois d'plus, grommela Thierry.
-Il a appelé les chefs des aut'tribus, lui dis-je. Ça doit pas être pour rien.
-Il va conclure une paix avec nous, déclara Maël.
-Vraiment?
-J'en suis sûr.'"
"Il ne croyait pas si bien dire; un mois après, Yusuf nous annonçait que nous partirions dans un convoi de circonstances, avec les autres prisonniers que nous n'avions pas vu de tout notre séjour.
'On va pouvoir leur serrer la main, s'amusa Estève.
-Très drôle, commenta Thierry. Mais c'est vrai que j'me d'mande qui c'est.
-Sûrement des gars qu'on a jamais croisés', décrétai-je.
Mes compagnons me regardèrent et haussèrent les épaules; et oui, j'avais raison. Mais je n'eus pas le temps de savourer ma victoire; des gardes couraient vers nous.
'Estève, qu'est-ce que t'as fait?
-Mais rien!'
Yusuf se retourna, surpris, et interrogea les guerriers, qui leur répondirent. Sa mine devint grave. Il indiqua la sacoche d'Armand, et ils la retournèrent sans que celui-ci n'ait put protester. Tous ses croquis tombèrent par terre, et l'un des gardes empoigna une feuille de portraits en criant quelque chose. Sur cette feuille, le visage de Yusuf était facilement identifiable.
'Il va falloir me suivre, soupira ce dernier.
-On a fait quelque chose de mal? demanda Joseph.
-Vous, non. Lui, oui.'
Il désigna Armand, qui ne comprenait pas la situation, et nous emmena dans la maison de Mascara, où l'Emir nous attendait, avec sa mère et quelques hommes. Il avait l'air bien moins amène que la dernière fois où nous l'avions vu."
"Il commença à parler avec Yusuf, qui essayait sans doute de lui expliquer la situation, puis se tourna vers Maël dans le vacarme général.
'Étais-tu au courant, lui dit-il, que ton ami pêchait contre nous?
-Je l'ignorais, seigneur.'
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Ficción históricaPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...