Chapitre 41

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Théophile prit bien soin d'emporter les lettres avant de partir chez Madame de Douarnez. D'ailleurs, ce fut la première chose qu'elle lui demanda quand il pénétra dans le petit salon:

"Avez-vous avec vous les lettres que je vous ai demandées?

-Merci je vais bien, et vous?

-Ne m'embarassez pas, le scribe. Vous allez toujours bien. Quand à moi, j'attends que vous vous mettiez au travail.

-Vous me paraissez bien agacée, Madame. J'espère que je ne vous ai pas énervée outre mesure par mon incompétence."

Iris tint un moment ses positions, puis soupira:

"Ce n'est pas vous. Vous n'avez rien fait. Vous m'énervez constamment, mais pas à ce point.

-Que se passe-t-il?

-Mes petits-neveux vont m'envoyer pour la énième fois un médecin afin qu'il me déclare sénile! Voilà ce qu'il y a!

-Vous n'êtes pas sénile.

-Croyez bien que je le sais, oui! Cela fait presque deux ans qu'ils me l'envoient tous les trimestres. Et jamais, en deux ans, ils n'ont pu prouver que j'étais diminuée!  Leur entêtement commence vraiment à me courir sur les nerfs!

-Laissez-les; ils ne pourront pas vous déclarer sénile ce mois-ci. Je témoignerai.

-Vous êtes bien aimable. Commençons."

Le biographe lui obéit, heureux. C'était la première fois que sa cliente lui faisait ce compliment.

Madame de Douarnez prit les lettres, et déclara:

"En vérité, il ne s'agissait pas d'une missive de Maël. C'était son sergent qui nous écrivait. Nous nous réunîmes autour de mon père pour l'entendre lire."

"Oran, etc... Monsieur de Douarnez,

Je me prénomme François Laurent, je suis le sergent de votre neveu Maël de Péradec dans le régiment... de la telle division... Je me permets de vous écrire car je n'ai trouvé que votre adresse parmi la correspondance de mes hommes. Je sais de par eux que vous donnez régulièrement des nouvelles à la mère de Donatien Ansond.

Je me dois de vous annoncer que les soldats Péradec, Ansond, Fabrès et Mougel ont été capturés pendant une bataille et livrés à notre ennemi, Abd El Kader Ibn Muhieddine. Monsieur le Général Desmichels a, bien entendu, entamé des négociations pour les récupérer.

Je vous demande de ne pas vous inquiéter; ils sont tous en vie, et en bonne santé, et nous comptons les faire rentrer entiers à Oran.

Je tacherai de vous faire parvenir de nouvelles informations quand j'en aurai.

Veuillez recevoir mes salutations respectueuses."

"J'entendis Lorelei laisser échapper un discret soupir. Mon père replia la lettre et nous dit:

'La lettre est datée de début septembre. À présent, nous sommes fixés. Maël est en vie. Veuillez m'excuser, il faut que je rédige une réponse.'

Ma mère et ma sœur, soulagées, mais je demeurai dans la pièce et poussai jusqu'à m'asseoir dans un fauteuil.

'Que se passe-t-il, Iris?

Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant