Les heures se sont écoulées à une vitesse folle. Martha est partie depuis longtemps, lorsque je referme les portes de la boutique. Il faut encore que je passe voir les stagiaires dans leur salle de détente. Un petit discours de motivation ne sera pas superflu. Par habitude, lorsqu'ils entament la deuxième semaine de retraite certains se décourage et parfois quitte le séminaire. Je sais que c'est inévitable mais j'espère qu'ils ne seront pas nombreux pour ma première. Irène me surveille et chaque faux pas et un argument de poids pour remettre en doute mon autorité. Je m'apprête à y aller lorsque j'entends le téléphone sonner dans le bureau qui se situe juste à côté. La permanence est fermée à cette heure-là, mais j'hésite un instant. La sonnerie finie par s'arrêter. Je claque le rideau de fer lorsque j'entends à nouveau le téléphone sonner. J'ai toujours du mal a ne pas décrocher et ce soir ne fait pas exemption. On ne sait jamais sur qui on tombe lorsque l'on décroche ce combiné, mais mon instinct m'ordonne de répondre.
—Allo, permanence de la Communauté, ici Cassiopée. Que puis-je faire pour vous ? demandé-je avec entrain.
La respiration à l'autre bout du fil est saccadée, comme entrecoupé de sanglot.
—Cassie, c'est toi ? me demande une voie que je reconnais immédiatement.
—Monsieur Rabiot ? c'est vous ?.... mon dieu vous allez bien ? demandé-je soudain affolée.
—oui, oui enfin .... Tu sais la vieillesse.... Mais rien d'important. Je ne voulais pas te déranger. Je peux rappeler si tu veux ?
—non, non vous ne vous dérangez pas le moins du monde. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
—Avec Paulette nous aimerions beaucoup te voir. Nous avons suivi aux informations ce qui est arrivé à Samuel et Elisabeth. Nous nous inquiétons pour toi, tu sais. Avec tes parents, puis Rebecca et maintenant eux, nous ... nous tenons beaucoup à toi et ...
—Et vous voulez savoir si tu vas bien ? Je vais très bien, rajouté-je. Mais c'est vrai que cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Que diriez-vous si je passais chez vous, disons, demain soir, pour le repas, ajouté-je en feuilletant rapidement mon carnet.
—Oh ma fille, cela nous fera le plus grand plaisir. Aller je raccroche, je te laisse, il se fait tard. Je ... nous sommes tellement heureux Cassie, à demain alors.... Me dit-il d'une voie hésitante avant de raccrocher.
Je les connais depuis que je suis toute petite. C'était le boucher du quartier. Ils ont tout de suite accueilli notre famille, nous ouvrant la porte de leur maison et leur cœur chaque fois que nous en avons eu besoin. Je n'ai jamais connu mes grands-parents, et pour moi Bernard et Paulette Ragois sont ce qui s'en rapproche le plus. Mais avec le temps, nos relations sont devenues plus distendus. Ils n'ont jamais porté Samuel dans leur cœur, je crois. Une sorte de défiance mutuelle existe entre eux. Rebecca et moi allions surtout les voir avec Elisabeth. Je pense que cela fait quatre ou cinq moi que je ne les ai pas vu. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point ils pouvaient me manquer. Mon seul regret est qu'ils n'ont jamais voulu rejoindre la Communauté. Mais à leur âge, je ne leur en tiens plus rigueur.
Je regarde rapidement l'heure à ma montre. Il est trop tard pour mon petit discours. Cela devra attendre demain, au petit déjeuné. Je songe que je suis trop épuisée pour être convaincante. J'éteins la lampe de bureau et rentre dans mes quartiers. Je m'écroule aussitôt de fatigue.
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Chaque fois que j'arrive chez eux, je suis toujours touchée, non submergée plutôt, par le mélange de fierté et d'émotion dans leur regard.
Dans la rue où habite les Ragois, seuls les numéros permettent de se repérer parmi les maisons en brique rouges toutes identiques, vestiges du passé industriel de la ville. Face à moi, les façades mitoyennes s'alignent le long de l'étroit trottoir, toutes identiques. Seules quelques jardinières de fleurs apportent une touche de personnalisation et de gaîté. La lumière du couloir s'éclaire quelques secondes après que j'ai appuyé sur la sonnette, signe que mon arrivée était vivement attendue.
—Bernard, bonsoir, pardonnez mon retard, j'ai beaucoup de travail en ce moment à la Communauté et je n'ai pas vu le temps passer. Vous allez bien ? demandé-je en faisant la bise à mon interlocuteur. Paulette est dans la cuisine je suppose, ajouté-je avec malice.
—Tu la connais, toujours dans ses casseroles me répond Bernard dans un soupir las mais amusé. Entre ma fille, il fait un peu frais dehors. On est tellement content que tu sois venu nous voir.
L'odeur émanant de la cuisine me replonge dans mes souvenirs d'enfance. Paulette a toujours beaucoup cuisiné d'aussi loin que je me souvienne. Rebecca et moi adorions lui rendre visite, passer des heures à préparer des gâteaux.
—Cassie, ma chérie vient donc embrasser une vieille femme s'il te plait.
—Paulette, comment allez-vous ? La cuisine sens toujours aussi bon que dans mes souvenirs. Laissez-moi deviner .... Gambas à la sauce armoricaine et tut, tut, tut ne me dite rien ajouté-je alors que Paulette tente de couper. Un .... Une tarte au citron meringué, dis-je fièrement !
—Gagné ! Tes plats préférés, me répond Paulette en posant une main bienveillante sur mon bras. Allez les mains et ...
—A table terminé-je gaiement.
Nous nous installons comme par le passé et discutons tout en engloutissant les plats de Paulette.
—Vous sortez un peu, vous voyez des amis ?
—Oh tu sais on a nos petites habitudes. Je vais faire mon tiercé et boire un petit verre avec les copains, me répond malicieusement Bernard. Et Paulette...
—Paulette peut répondre toute seule, le coupe-t-elle. J'ai toujours mon club de couture, le mardi soir. Et je sais que Bernard en profite pour allez chez Bouville, pour sa partie de poker, ajoute-t-elle en frappant amicalement l'épaule de son mari avec sa serviette. Et il y a aussi le secours populaire. Oh ma Cassie, il y a tellement de misère dans notre monde. Je me dis parfois que vous devriez venir. Les gens qui viennent ne sont pas seulement dans une précarité matérielle. Je crois que tu leur feras beaucoup de bien.
La proposition de Paulette me touche beaucoup, elle n'a jamais manifesté jusque là d'intérêt pour notre Communauté et ses actions.
—Je vais en parler à Martha, elle s'occupe de la partie caritative de notre Communauté. Mais je pense que ça pourra se faire rapidement. Et votre fils, il passe un peu ?
—Oh tu sais il est très pris par son travail. Mais il nous appelle tous les dimanches, on parle aussi aux petits, ils grandissent tellement vite. On se voit moins souvent. Il a muté dans le Nord, pour le travail, tu sais. Oh il ne voulait pas partir, sa femme non plus d'ailleurs. Et je ne te parle même pas des petits. Ils ont fait une de ses crises. Mon dieu ! Mais bon, ils n'ont pas eu le choix. Ils viennent une fois par mois, passer le week-end à la maison, et parfois pendant les vacances aussi. Mais ce n'est pas pareil.
Je vois leurs yeux s'embrumer, mais ce sont des gens fiers et dur. Ils ne laissent que rarement transparaitre leur peine, même devant moi. Nous parlons encore durant un long moment, de leur quotidien, du miens, de nos souvenirs.
—Allez sauce toi maintenant, il se fait tard, m'ordonne gentillement Bernard en entendant sonner vingt-trois heures. Sois prudente sur la route.
—Promis, repondis-je en enfilant ma veste tout en leur faisant la bise.
Bernard me racompagne jusqu'à la porte. Je n'y avait pas prete attention en arriavnt, mais je remarque la maigreur de ses bras. Je me demande soudain si le festin qu'ils ont partagé ce soir avec moi n'est pas inhabituel.
—Allez, tu embrasseras tes parents pour nous, me dit-il avant de refermer la porte sans attendre ma réponse.
Je me fige. Ils sont mort depuis des années, il le sait bien. Il nous a tant réconforté avec Rebecca. J'essaie de me rassurer en me disant que la confusion n'est certainement du qu'a un peu de fatigue. Mais une intuition douloureuse m'enveloppe soudain et me glace le sang.
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Dark Hold (La face cachée du Maitre)
RomancePour Cassie, la Ferme, communauté dont elle fait partie, est tout ce qui lui reste après la mort de ses parents et de sa sœur, Rebecca .Quand le Maître, leur leader, est arrêté pour le meurtre de celle-ci, elle se retrouve seule pour sauver ceux qui...