Chapitre 10

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J'ai réuni les six derniers apprenants qui nous ont rejoint, dont Jérémiah et la jeune femme qui a prêté serment en même temps que lui. Ils ont tous, sur les conseils appuyés de Martha, émis le souhait que je sois leur Berger.

J'avance en lisière de forêt en cherchant mon petit groupe, un petit sourire posé sur mes lèvres. Je viens de remporter une première bataille contre Irène. Elle ne m'a pas défié à nouveau mais je sens ses regards insistants, ses commérages derrière mon dos. Il y a une chose avec laquelle elle ne peut rivaliser. Je suis et resterait la fille du Maître. Ce statut m'offre pour le moment un avantage certain sur elle, mais il ne me protègera pas longtemps contre ses manigances.

-Cassie ? m'interroge une voix masculine que je ne reconnais pas immédiatement.

J'ai rejoint mon petit groupe sans m'en apercevoir, perdu dans mes pensées. Ils se sont installés sur un grand plaid en patchwork, leur petit carnet de note en main et le livre du maître près d'eux.

Jérémiah se tient debout devant moi, un large sourire étiré sur ses lèvres.

-Bonjour, dis-je, je vois que vous vous étés bien installés.

Jérémiah me tend la main pour m'aider à m'assoir à ses côtés.

-Vous avez choisi un endroit magnifique et très paisible pour notre premier cours. Je vois que vous avez retenu les principes de la communauté, que nous vous avons prodigué lors de votre cérémonie d'intégration.

-Et nous avons étudié, me coupe une jeune femme. Elle faisait partie des premiers apprenant dont j'ai présidé la cérémonie.

-Parfait ! Comme le dit ...

Je cherche son prénom dans ma mémoire mais je n'arrive pas à m'en souvenir. Je serre les poings devant mon incompétence. Je me dois de connaitre tous mes frères et sœurs.

-Sophie, me souffle Jérèmiah discrètement au creux de l'oreille.

Son souffle me transperce telle une lame en plein cœur. Mon cœur se met à accélérer d'un seul coup. Jérémiah me sourit avec un air de défis, et je me retiens de lui balancer mon coude dans les côtes. Il joue encore avec moi, et je me laisse faire. Je sais que je devrais lui parler, une fois encore. Il attend de moi plus que ce que je peux lui donner. C'est formellement interdit par nos règles. Et il y a Jonathan. Cela fait un mois que je l'ai exilé. Il me manque terriblement. Nous avons convenu que nous n'aurions pas de contact tant que son père est après nous, mais je ne peux m'empêcher de composer son numéro de téléphone. Je sais qu'il ne répondra pas. Mais je lui ai fait une promesse. Je ne peux pas laisser Jérémiah me détourner de Jonathan. Pas après tout ce qu'il a fait pour moi. Je dois lui résister. Mais sa présence me réconforte. Je lui lance un regard taquin, légèrement provocateur. Je crois que j'aime moi aussi jouer avec lui.

(Jeux)

Je secoue légèrement la tête.

-Sophie, ajouté-je en tournant la tête vers elle, il vous faut avant toute chose étudier les préceptes établis par Samuel, que nous nommons respectueusement notre Maître.

Les 6 apprenants me regardent avides d'apprendre. Je remarque des marques pages insérés dans plusieurs livres. Ce sont de bonnes recrues. Ils nous ont rejoint avec une volonté réelle de changer de vie

-Je vois que certains ont bien étudiés.

Mon regard se perd sur Jérémiah, qui détourne le regard. Il semble mal à l'aise et j'en déduis qu'il n'a pas du beaucoup étudier depuis son arrivée ici.

-Avez-vous des questions ?

-Cassiopée, je me demande quelque chose, commence Sophie, visiblement apeuré de continuer son propos.

-Vas-y.

Je lui prends le bras pour la rassurer. Elle ne doit pas avoir peur de moi. Je suis leur Berger, mais ils me voient tous comme la fille du Maître, celle qu'il ne faut pas décevoir. Si je veux prendre le pas sur Irène, je dois casser cette image. Devenir leur guide mais surtout leur amie.

-Le Maître prône de répandre l'amour de la nature et ses bienfaits autour de nous. Mais comment y arrive-t-il ou toi après tout ce que vous avez vécu ? me demande-t-elle, stressée.

Je prends une profonde inspiration. Je ne peux avouer à Sophie que je me pose parfois la même question. Mais je me répète en boucle les mantras du Maître.

-Est-ce que parce qu'une journée est douloureuse qu'il faut en oublier tous nos principes ? Est-ce que c'est parce que nous souffrons que nous devons cesser de nous préoccuper de ceux qui nous sont chers ?

Sophie enroule ses cheveux autour de ses doigts en se mordant la lèvre. Je l'ai mise mal à l'aise.

-Mais je vous rassure, personne n'est parfait. Vous savez, depuis la disparition de ma sœur, l'arrestation du Maître, je .... doute de moi, de ma capacité à vous guider. Je ne sais pas si je serai assez forte pour appliquer les principes du Maître. Parfois j'ai envie de hurler. J'ai l'impression de me débattre seule contre tous.

J'ai débité ses paroles si vite que j'en ai oublié de reprendre mon souffle. Lorsque je relève la tête, ils me sourient tous avec compassion. J'ai toujours eu horreur de se sentiment. Mais montrer ma vulnérabilité est peut-être la clé de ma victoire sur Irène.

Jérémiah est le seul dans lequel je ne lis pas ce sentiment dans ses yeux. Il ne ressent pas de pitié. Je crois même y déceler de la fierté.

-Ce que je veux dire, c'est que nous ne devons pas être parfait, chaque jour, à chaque seconde nous avons nos faiblesses. En revanche, nous devons savoir les combattre. C'est cela notre vrai devoir. Nous avons le droit de pleurer, de hurler, de se débattre contre le cours de nos vies. Mais nous ne devons jamais nous voiler la face, et abandonner notre idéal. Car c'est en cherchant à l'atteindre que nous grandirons en tant que personne.

-Merci Cassiopée, m'indique Jorge, un apprenant qui nous as rejoint il y a deux mois environ.

Agée environ d'une cinquantaine d'année, il a perdu toute sa famille dans un tragique accident de la route il y a quatre ans. Il a sombré dans l'alcool avant de s'en sortir, pour comme il le dit lui-même, rendre fier sa femme et ses enfants. Samuel l'a aidé à se sortir de cet enfer, et il nous a rejoint, convaincue par notre mode de vie.

-Vous savez, j'ai moi aussi perdu des gens proches. Il y a des matins où je n'arrive pas à sortir du lit. Je revois leurs visages et je me demande pourquoi je ne suis pas mort moi aussi, ce jour-là, dans le carambolage. Pourquoi j'ai été épargné ? Je pleure un bon coup, parfois, je casse deux ou trois choses. Mais, alors, que je suis au plus mal, j'entends encore ce que le Maître m'a demandé ce jour où il m'a trouvé ivre, dans un état de saleté répugnant : « qu'est-ce que ta femme et tes enfants penseraient de toi s'ils pouvaient te voir ? » Et je suis convaincue qu'ils me voient. Je peux sentir leur présence ici avec moi, ajoute-t-il des larmes aux bords des yeux, en pointant son cœur.

Je me lève d'un bond et je le serre dans mes bras, bientôt imité par les autres apprenants. Nous formons un bloc uni dans la souffrance.

Dark Hold (La face cachée du Maitre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant