Chapitre 33

66 8 0
                                    

Tony est un véritable son et lumière ambulant. Il est accro à l’héroïne. Les crises de manque succèdent aux crises d’excitation qui succèdent aux crises de dépression. La cohabitation est chaotique.

Son père était sénégalais, sa mère d’origine normande. Pour sa famille paternelle, il n’était pas assez noir, pour sa famille maternelle, pas assez blanc. Sa mère a été rejeté, avec lui. Ils ont connu la blessure de l’abandon et la marginalité. Elle cumulait les jobs pour survivre, laissant le petit Tony seul, à la dérive. Il a connu la délinquance jeune, trop jeune. Un homme de passage dans leur vie a essayé de l’aider, lui trouvant une place de serveur dans un palace parisien où il officiait comme portier. Peine perdue. Il s’est mis à vider les bouteilles. Sa descente aux enfers a commencé. Puis un jour, Tony le noir à rencontrer la « blanche », l’héroïne et il a plongé, entraînant sa mère avec lui.

C’est la première fois que nous accueillons un drogué en état de manque dans la communauté. Jusqu’alors, nous nous contentions seulement d’aider d’ancien toxicomane à retrouver un sens à leur vie et à rester clean. Pas à le devenir.

Nous bâtissons un programme à base d’air pur, de travail, de méditation et bien-sûr de soin médicaux. Même si je suis persuadé que Mère nature peut aider Tony, décrocher de l’héroïne ne se fait pas si facilement.

Et ce n’est pas le travail qui manque. Tony est notre « galop » d’essai, notre test. Nous voyons plus grand, plus gros. Jérémiah me propose de construire un nouveau bâtiment, dédié à notre programme « Renaissance ». Tony travaille dur, il y a du boulot, mais cela ne nous effraie pas.

Aider par des Brebis, il travaille toute la journée, au grand air sur une colline qui surplombe la communauté, légèrement à l’écart. Il n’arrête pas de chanter à longueur de journée le tubes qui passent à la radio, ce qui parfois crée quelque tension avec ses compagnons de labeur.

Mais c’est surtout son chantage qui met nos nerfs à rude épreuve. Il fait plusieurs fugues et chaque fois nous le retrouvons défoncé, au coin d’une ruelle. Une épreuve de plus pour sa mère et pour nous.

—Si j’arrive à pas me camer pendant une semaine, tu me donnes quoi Cas’ ? me demande-t-il un jour lors d’une de nos séances de méditation.

—Rien Tony. C’est pour toi que tu dois arrêter la drogue, pas pour moi ou ta mère. Et ne m’appelle pas Cas’, ok ? Cassie ou Cassiopée, d’accord.

—Ouais, ouais comme tu veux, Cassiopée. De toute façon, t’es comme tous les autres, t’en a rien à foutre de moi. Un jour je vais me crever, et ça vous libèrera d’un poids.
Au début de son séjour, je n’en menais pas large. Jérémiah non plus. Le matin, nous nous relayons pour vérifie qu’il était toujours là et en vie. Nous tentions de rassurer sa mère. Elle commençait à entre voir le bout du tunnel. Elle avait repris gout à la vie et partageait avec Martha une belle complicité. Je ne les avais pas vu si heureuse depuis bien longtemps. Une belle amitié s’était soudée entre ses deux femmes, abimés par la vie. Martha n’avait pas pu sauver sa fille, morte bien trop jeune dans un accident de voiture, du à l’alcool. Elle voyait en Tony un moyen de se racheter auprès de cette fille qu’elle n’avait pas su comprendre et aider.

Les fugues et les chantages de Tony se sont calmés avec le temps. Un jour, Tony ne casse plus les oreilles de ses compagnons, il discute avec eux, rigole, retrouve gout à la vie. Nous observons fébrile sa transformation. Mais la journée se déroule sans accro, les suivantes aussi.

Nous prenons espoir.

—Tu crois qu’il a passé le cap ? me demande nerveusement Sylvie un soir.
Le cap, celui ou tout drogué prend conscience que la vie vaut la peine d’être vécu. Je l’espère sincèrement.

Dark Hold (La face cachée du Maitre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant