Chapitre 15

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Je ne sais pas comment je me suis retrouvée à les observer. Lorsque nous nous sommes séparés, après notre réunion, les six apprenants ont regagné leur quartier. J'ai regardé Jérémiah s'éloigner avec Sophie, et sans m'en rendre compte, je les ai suivis à distance.

J'éprouve soudain une bouffée d'envie. Comme j'aurai aimé être comme Sophie, une fleur fragile qui ne demande qu'à être protégée.

Jérémiah dépose un baiser sur sa joue, à la naissance de son oreille. Ils se tiennent devant le bâtiment où elle a ses quartiers, en bas des marches qui mènent à la porte principale. Au-dessus de leurs épaules s'étale un arbre aux branches encore dénudées en cette période. Ils semblent échanger quelques mots. Je crois distinguer un rire, puis Sophie regagne l'intérieur. Jérémiah pose une main sur l'écorce de l'arbre, tête baissée, comme s'il ne voulait pas croiser son regard.

J'entends la porte se refermer sur elle, mais il ne bouge pas. Il s'adosse au tronc et allume une cigarette. Je peux voir la flamme rouge-orangé de son briquet se refléter dans ses lunettes.

Je sens peser sur mes épaules toute la lassitude qui me gagne, m'enveloppant dans la nuit. Les palpitations de mon cœur se font de plus en plus rapides. J'ai l'impression d'étouffer sous le poids d'une vie que je ne suis pas sûre de vouloir et d'aimer. J'ai le sentiment de me consumer à petit feu, comme la cigarette de Jérémiah.

Perdue dans mes pensées, je ne me suis pas rendu compte qu'il venait de se retourner, levant les yeux dans ma direction. Il semble surpris de me voir. J'ai instantanément un mouvement de recul, dans une tentative désespérée de me cacher dans l'obscurité. Mais c'est trop tard. Je suis grillée.

Jérémiah affiche une mine renfrognée et me fait signe de ne pas bouger. Il jette dans un geste brusque sa cigarette avant de l'écraser sous sa semelle. Je ferme les yeux un instant, espérant que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve. Comment ai-je pu être aussi bête pour les suivre en pensant qu'ils ne me remarqueraient pas ? Je le regarde s'approcher, en redoutant sa réaction.

Il est maintenant assez proche de moi, pour que je puisse sentir l'odeur du tabac qui commence à refroidir. Mais au lieu de me questionner sur ma présence ici, il sort de la poche arrière de son jean son paquet de cigarettes et m'en propose une. Puis dans un éclair argenté, il allume nos deux cigarettes, avant de se laisser glisser au sol, encore humide de la pluie qui est tombée en abondance aujourd'hui.

Je suis si étonnée que je ne prononce pas un mot non plus, me contentant de tirer plusieurs bouffées courtes qui me font tousser. Je me laisse tomber à ses côtés.

Je l'entends rire.

–Tu n'as pas l'air de savoir fumer, n'est-ce pas ?

La nuit masque le rouge qui envahit mon visage.

—C'est ma première, dis-je honteuse.

Jérémiah me balance un coup de poing amical dans les épaules avant d'ajouter :

—c'est comme ça qu'on fume une clope.

Il me montre pendant les cinq minutes qui suivent comment fumer, à aspirer correctement la fumée dans mes poumons, comment tenir ma cigarette entre mon index et mon majeur, comment l'attiser ou au contraire la faire durer.

Chaque bouffée me brule la gorge, mais je parviens, au bout de plusieurs essaies à inhaler sans tousser, à sa grande satisfaction.

—Tu fumes depuis quand ? finis-je par lui demander en regardant mon mégot s'éteindre doucement à mes pieds.

–Pas souvent.

—Ce n'est pas ce que je t'ai demandé, corrigé-je en tournant la tête vers lui.

Dark Hold (La face cachée du Maitre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant