Dark Hold (La face cachée du Maitre)

Chapitre 21

—Le témoignage suivant est, disons, différent. Il va nous permettre de comprendre le désir et pourquoi il est vain de vouloir lutter contre.

J'entends dans la salle des murmures amusés. Je repense à la nuit que Jérémiah et moi venons de passer ensemble. Elle est allé à l'encontre de tous mes principes, de toutes nos régles. Mais je n'ai pas pu me refuser à lui. Je secoue la tête légèrement et reprend :

— L'un des premiers principes de notre communauté est la séparation du corps et de l'esprit. Parfois ses deux entités qui constituent notre tout, ne partage pas les mêmes volontés. Combien de couples vivent ensemble une relation purement platonique au bout de vingt ou trente ans de mariage, mais aimant pour autant la compagnie de l'autre sur le plan culturel.

Je marque une pause. L'assemblé n'est plus aussi dissipé qu'au début de mon intervention. J'ai marqué un point.

— Et nous connaissons tous un couple qui ne peut se supporter dans la vie quotidienne mais dont les retrouvailles sont .... comment dirent .... amicales.

La salle éclate de rire, pour certain gênés. Et voilà, mon assistance est enfin captivée. Ce sujet sensible est pourtant un des fondements de notre communauté, mais aussi l'une des cibles de nos détracteurs les plus farouches.

— Bien avant d'accueillir notre prochain intervenant, laissez-moi vous planter le décor, comme l'on dit, ajouté-je en souriant. Lorsque Béa en finit avec Charles, elle croit s'en libérer pour toujours. C'était compter sans le désir, qui va venir s'immiscer entre eux et leur jouer des tours.

Béa vient s'installer à mes cotés. C'est une belle jeune femme d'environ trente cinq ans, au sourire chaleureux. Son teint hâlé et ses cheveux de jais font oublier les lignes asymétriques de son visage. Elle projetait pourtant une aura sensuelle qui n'avait rien de snob ou de superficiel. Son front est altier, sa bouche sensuelle et ses yeux sombres et profonds sont ourlés de grands cils noirs. Sauvage et grave à la fois, sa sensualité touche à l'essence même de cette femme. Et je peux voir l'effet qu'elle produit sur les membres de l'assemblé. Béa me sourit avec tendresse et je l'invite d'un geste de la main à prendre la parole :

— « Je ne souhaite qu'une chose : que tu disparaisses de ma vie ! » je me souviens très bien de cette phrase, prononcée une seconde avant que Charles ne claque la porte, une valise et sa guitare à la main. Après dix ans de vie commune, dont deux à se disputer sans cesse, je pensais sincèrement chacun de ces mots. Je m'accrochais à l'espoir de ne plus jamais revivre ça, d'être enfin libérée de cet amour invivable. C'était d'ailleurs complètement idiot de ma part, notre fils de cinq ans nous liait l'un à l'autre pour toujours. Malgré la séparation, malgré les phrases immondes que nous nous sommes crachées au visage, je n'imaginais pas que la suite serait aussi .... inattendue. Rien dans cette histoire ne fait sens. Ni le fait qu'on n'ait pas réussi à dépasser nos conflits, ni le long calvaire traversé avant la séparation, ni nos retrouvailles secrètes et torrides.

La salle l'écoute avec attention captivé par son récit. J'aperçois Jérémiah dans un angle de la pièce, lui aussi captivé par Béa. La façon dont il la regarde me perturbe. Je sens la colère grandir en moi. J'ai l'impression qu'il la désire. Je ne devrai pas lui en vouloir, elle est magnifique, et elle me trouble également. Son odeur, ses mouvements, tout transpire en elle la sensualité. Mais je ... mes mains me font mal. La douleur me fait reprendre contact avec la réalité. Mon regard qui s'était troublé se pose à nouveau sur Jérémiah qui me sourit tendrement, avec un regard penaud, comme un enfant pris en flagrant délit par ses parents. Mon rythme cardiaque retrouve son calme, la façon dont il me regarde, non dont il me déshabille du regard me rassure. Je quitte la scène et le rejoint. Une fois à ses côtés, je ne cesse de le dévisager. Au bout de quelques secondes, il hausse un sourcil interrogateur. Consciente de le dévisager, je me ressaisie et vient me coller à lui.