La police est restée une bonne partie de la journée. J’ai suspendu toutes les activités de la Ferme et des séminaires aujourd’hui. Personne n’a la tête à travailler de toute manière. Le décès soudain d’Irène nous plonge dans l’incompréhension la plus totale. Elle n’a pas laissé de lettre, et rien dans son comportement n’aurait laissé présager un tel acte.
Je me suis réfugiée dans ma chambre, sonnée par les récents évènements. Ma tête me fait horriblement mal. Je n’arrive plus à réfléchir. Je n’ai rien avalé depuis hier matin, ce qui n’arrange pas mon état. J’ai la gorge sèche et douloureuse. Des sanglots refusent de sortir et me font mal. Très mal. Trop mal. Je bois un verre d’eau que je finit par recracher aussitôt. Cet effort manque de me faire perdre connaissance. Je me retiens de justesse au rebord de l’évier.
Je m’allonge, avec peine, sur mon lit. Le décor tangue tout autour de moi. Je ferme les yeux pour tenter de calmer la nausée qui devient de plus en plus présente. Sans succès.
J’ai juste le temps de me pencher en dehors du lit. La bile me brûle la gorge. Mon estomac devient douloureux à force de se contracter. J’attends que les haut-le cœur s’apaisent enfin pour me redresser. Je me sens faible et fébrile. Je tremble de tout mon être. Je me traine vers la salle de bain. Je me brosse rapidement les dents dans le fol espoir de nettoyer le goût infame de métal rouillé qui envahit ma bouche. Je me passe un peu d’eau sur le visage. Le reflet que j’aperçois dans la glace me fait peur. Le miroir au-dessus de l’évier me renvoie mon image à la lueur du néon. Mes yeux sont cernés de noir violacé et je suis aussi pâle que de la porcelaine. J’ai l’air d’un fantôme.
Des coups violent résonnent dans toute ma chambre. Je me traine avec difficulté vers la porte d’entrée. Lorsque je l’entrouvre, je découvre Jérèmiah.
—Cassie, ça va ? ça doit faire plus d’une demi-heure que Martha et moi tentons de te contacter.
J’essaie d’articuler mais j’ai la bouche pâteuse. Jérémiah me pousse légèrement à l’intérieur et je suis trop faible pour résister.
—Viens t’assoir. Tu fais peur à voir. Me dit-il en me soutenant par le bras pour me conduire sur mon lit. Tu n’as pas mangé depuis quand, Cassie.
Je souris avec les dernières forces qu’il me reste.
—Je ne sais plus très bien. Je crois que c’était le petit déjeuner que tu m’as apportée.
—Bordel, Cassie, ça fait trois jours ça !
Il se lève avec précipitation et je le regarde s’affairer dans ma petite cuisine. Il ouvre les placards les uns après les autres. Je songe que je ne les ai pas remplis depuis des semaines maintenant. Pas le temps. Pas l’envie.
—Tiens bois un peu. C’est de l’eau avec du sucre et un peu de sel. Elle va t’aider à te réhydrater. Des petites gorgées. Sinon ton estomac va tout recracher.
Le breuvage a un gout immonde, le sel me brule la gorge à vif à force d’avoir vomit de la bille. Mais, je me force à respecter les consignes de Jérèmiah.
—Je ne savais pas que tu avais des connaissances en médecine.
—Tu sais, quand on se câme, les nausées on connait. Comme le fait de tellement planer que l’on en oublie de manger. Alors on apprend des trucs. Tiens j’ai trouvé des crakers. Prends en des petites bouchées.
Il se tient accroupi à ma hauteur, scrutant le moindre de mes gestes, m’obligeant à finir sa boisson et à engloutir le paquet entier.
Je suis épuisée lorsque j’ai enfin avalé la dernières gorgée.
—Allonge toi. Il te faut du repos, Cassie. Je vais aller prévenir Martha que ça va aller.
Je lui attrape le bras, les yeux à moitié clos, pour le retenir.
—Reste avec moi, s’il te plait.
—Je reviens, Cassie, me dit-il en me caressant doucement les cheveux.
—Les visions … elles me parlent Jeremiah… elles…
Je ne termine pas ma phrase, et alors que je sombre dans un profond sommeil, je le vois s’éloigner vers la porte.
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Je me réveille en sursaut. La nuit est déjà bien tombée sur la communauté. Jérèmiah est endormie sur un fauteuil qu’il a déplacé pour positionner près de mon lit.
Je le regarde dormir quelques secondes, avant d’être prise par une quinte de toux. Il se réveille en sursaut, et me regarde, étonné. Je détourne le regard, gênée.
—Salut, ça va mieux ?
Je m’apprête à lui répondre lorsque mon ventre se met à gargouiller.
—On dirait bien que oui, me lance-t-il d’un air taquin.
Il se lève en s’étirant légèrement. Je le regarde se diriger vers ma minuscule cuisine.
—Tiens, Martha a déposé ça hier soir. Elle s’inquiète pour toi. Comme nous tous.
J’engloutis la moitié du plateau repas, composé de poulet froid et de salade. Je suis rapidement rassasiée. Mais j’ai mangé trop vite. J’ai mal au ventre, mais je sens que mes forces me reviennent peu à peu.
—Tu es resté toute la nuit, ici ?
Jérèmiah se passe la main dans les cheveux.
—Quelqu’un devait te surveiller, Cassie. Tu n’étais pas en très bonne forme.
Je baisse la tête, et répond dans un murmure.
—Il s’est passé beaucoup de chose ces derniers jours. Une longue histoire.
Un silence s’installe entre nous.
—Vas-y raconte-moi. J’ai tout mon temps, finit par me répondre Jérémiah en s’enfonçant dans son fauteuil.
J’hésite un moment mais je finis par céder devant son regard déterminé. Je lui raconte ma visite au cimetière et le cadeau laissé par Faure. Mais je me retiens de lui parler de Jonathan. Jérèmiah ne lui fait pas confiance. Et le suicide d’Irène ne ferait que le conforter dans ses doutes.
Doute.
Le doute m’envahit peu à peu moi aussi. Je ne l’ai pas revu depuis le cimetière. Je sais qu’il m’a portée jusqu’à ma chambre. Il est venu ici à la Ferme. Il a déjà tué pour moi. Un doute grandissant s’insinue en moi. Un frisson me parcourt. La voix de Jérèmiah me ramène à la réalité.
—Ce type est un grand malade. Il faut faire quelque chose, Cassie. Il ne peut pas te torturer psychologiquement comme ça, en toute impunité. Il doit bien y avoir un moyen.
Je secoue la tête.
—Je n’en sais rien, Jérèmiah. Mais avec le suicide d’Irène, je sais qu’il ne va pas nous lâcher maintenant.
Irène
—Je l’ai vu… Irène…son suicide.
Jérèmiah qui s’était mis à faire les cent pas se fige brusquement.
—Quoi ? me demande-t-il en se retournant brusquement. Je pensais que c’était Martha qui a découvert le corps.
Un long silence pesant s’installe.
—C’est le cas. Mais je l’ai vu … en rêve.
Jérèmiah me regarde avec incrédulité.
—Comment ça en rêve ? Je ne comprends pas.
Je me lève et me met à mon tour à faire les cent pas. Je suis nerveuse. Je ne sais pas comment lui expliquer ce que j’ai vu. Je ne suis même pas sûre de le comprendre moi-même.
—En revenant du cimetière, j’étais bouleversé. Avec la fatigue accumulée, j’ai craqué. J’ai laissé la tristesse, la haine m’envahir. Je me suis écroulée de fatigue. J’ai fait un rêve étrange. Il était tellement réel. J’ai vu la grange, la corde, … tout était comme pour Irène, Jérèmiah. A la seule différence, que ce n’était pas elle qui se suspendait au nœud.
Jérèmiah me regarde les yeux exorbités. Il se contente d’ouvrir et de fermer la bouche, à la recherche de mot qu’il n’arrive pas à prononcer.
—C’était moi…
Je me rapproche de lui doucement, et pose ma main sur son épaule.
—Je ne comprends pas, finit-il par me dire. Tu veux dire que tu l’as vue en rêve ?
Je le force à se retourner vers moi et plonge mon regard dans le sien.
—Jérèmiah, les voix du Maître… elles me parlent….
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Dark Hold (La face cachée du Maitre)
RomancePour Cassie, la Ferme, communauté dont elle fait partie, est tout ce qui lui reste après la mort de ses parents et de sa sœur, Rebecca .Quand le Maître, leur leader, est arrêté pour le meurtre de celle-ci, elle se retrouve seule pour sauver ceux qui...