Je ne respire plus. Je ne bouge plus. J’ose à peine cligner des yeux. La voix de Jonathan se fait lointaine. J’observe ses lèvres bouger devant moi sans en comprendre les mots qui en sortent. Ses mains agrippent mes épaules et il me secoue de plus en plus violemment. Tremblante, le cœur aux bords des lèvres, j’ai l’impression d’être dévastée par un cataclysme. Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces pauvres malheureux que l’on voit sur les images des chaînes de télévisions, après un ouragan ou une inondation, en train de chercher au milieu des ruines les objets brisés qui avaient fait partie de leur vie. Mon existence est brisée.
—Cassie ! me hurle-t-il.
—Ne me touche pas. Ne me touche pas.
Je me dégage avec vigueur de son emprise. Je le déteste. Il tend la main pour me retenir, mais je le repousse avec un regard de défis.
—Qu’est-ce qu’il y a ?
Sa question m’arrache un rire nerveux.
—Ce qu’il y a ? Tu te moques de moi, c’est ça ?
Jonathan me fixe d’un air interloqué, les yeux exorbités. Il ne comprend pas. Je le lis dans ses yeux.
—Tu es un monstre, finis-je par lui lâcher.
Ses quatre mots ont l’effet d’une bombe sur lui, finissant de faire voler en éclat ce qu’il nous restait de relation. Il rentre dans une fureur froide, détachée, retournant minutieusement sous mes yeux ma chambre. Les verres se brisent autour de moi. Il renverse mes étagères, remplies de livres, de papier. Même mes albums de photos font les frais de sa colère. Je le regarde comme détaché, insensible à son mal-être. En tuant Irène, il a détruit chez moi l’espoir que tout ce cauchemar prenne un jour fin.
—Tu devrais partir Jonathan. Définitivement.
Il stoppe net sa fureur destructrice, comme frappé en plein vol. Il se retourne lentement vers moi, parcourant du regard ma chambre devenue un vrai champ de bataille. Il ne comprend pas. Il ne me comprend plus.
—Tu me chasses ? Après tout ce que j’ai fait pour toi ? Je l’ai tué pour toi. Je les ai tous tués pour toi !
Je n’arrive plus à entendre ses excuses. Il se sert de moi pour justifier ses crimes. Irène était une épine dans mon pied, mais elle ne méritait pas la mort.
—Tu ne te rend même plus compte de ce que tu racontes, Jonathan. Pourquoi avoir tué Irène ? Elle n’avait rien fait de mal. Elle avait une ambition, mais je pouvais la gérer. J’allais la gérer. Elle ne méritait pas de mourir.
—Ne te ment pas à toi-même Cassiopée, me lance-t-il en m’invectivant avec son doigt.
—Ne te sers pas de moi pour justifier ce que tu as fait ! Je n’ai jamais souhaité sa mort. Pas plus que celle d’Achille ! Oui, ils m’ont fait du mal ! Mais de là à les tuer ! Faure ne nous lâchera plus maintenant. Il n’avait rien contre nous. Tu ne te rends même pas compte que tu viens de donner un nouvel os à ronger à ton père.
Je prends conscience que Jonathan n’est pas celui que je croyais. Sa folie me dépasse.
—Tu ne peux pas me faire, ça, je t’en prie.
Il s’est écroulé en pleur à mes pieds, me suppliant.
—Vas-t-en.
—Je me suis trompé sur toi, me lance-t-il en me fixant droit dans les yeux. Peut-être n’as-tu jamais été amoureuse de moi. En tout cas, à t’entendre, c’est ce que je ressens.
Je me retourne et tout en serrant les poings, en me contentant de fixer le sol.
—Calme-toi Cassie. Respire. Respire, ça va aller. Je suis là pour toi.
Jonathan essaie de me raisonner. Mais je sens au son de sa voix qu’il est résigné. Il sait au plus profond de lui qu’il m’a perdu.
Plusieurs minutes, qui me semblent durer des heures défilent avant que Jonathan ne cède.
—Comme tu voudras. Mais sache qu’il ne pourra jamais me remplacer. Tu as besoin de moi, Cassie. Comme tu avais besoin d’Andy…
Andy
Je n’ai plus entendu ce prénom depuis une éternité. Depuis la nuit de la mort de mes parents.
Je me retourne vivement mais Jonathan a disparu.
Debout au milieu de ma chambre, en ruine, semblable à ce qu’il reste de ma vie, je perçois le bruit d’une voiture qui s’éloigne. Puis plus rien…
**********
Mon poing s’écrase avec lourdeur sur la porte de la chambre de Jérémiah. Je l’entends se lever et ses pas se rapprochent de la porte. Lorsqu’il ouvre, les yeux embrumés par le sommeil, il paraît surpris.
—Cassie, mais … qu’est-ce que tu fais là ?
Des sanglots, de la rage me barrent la voix. Je n’arrive pas à faire sortir le moindre son de ma bouche et je me contente de hausser les épaules, avant que de lourdes larmes s’écrasent sur le sol, à mes pieds.
M’attrapant par le bras, pourtant avec une douceur infinie, il m’arrache un hoquet de douleur. Il remonte mes manches, pour découvrir la marque laissée par les mains de Jonathan. Je suis tellement anesthésié par la douleur morale, que je ne me suis pas rendu compte que mon corps était aussi meurtri.
—Oh merde Cassie, viens rentre.
Il me guide par les épaules jusqu’à l’intérieur.
Je m’assoie sur le fauteuil, les yeux perdus dans le vague.
Jonathan, Andy
Des noms qui appartiennent désormais à mon passé.
Jérémiah ….
J’ai soudain peur, alors qu’il me tend un verre d’eau, les yeux remplis d’inquiétude, qu’il en soit bientôt de même pour lui.
Alors, sans qu’il ne me le demande, je lui raconte tout.
Le cimetière. Les fleurs de Faure. Le retour de Jonathan. Nos retrouvailles. Ses aveux pour Irène. Notre dispute. Les mots sortent seul de ma bouche.
—Je l’ai chassé. Il ne reviendra pas.
Jérémiah se passe la main plusieurs fois dans les cheveux. Je ne l’avais pas noté avant, mais je me rends compte qu’il fait cela chaque fois qu’il est stressé. Ou inquiet.
—Cassie … tu dois le dénoncer à Faure. Il …
—Jamais !
Mon ton est dur, froid et sans appel.
Il hoquette de surprise, semble me sonder avec des yeux, mais il ne proteste pas. Il se contente de me répondre :
—Comme tu voudras, c’est toi le boss.
Plusieurs minutes passent avant que je brise à nouveau le silence qui a envahi la pièce.
—On ne parlera de ça à personne. Pas même aux Bergers. Personne en dehors de nous deux ne devra savoir.
—Tout ce que tu voudras, Cassie. Mais pour Faure, on fait quoi ?
—Rien. On attend. Pour le moment, il a des soupçons mais aucune preuve. Et aucun suspect. Il ne soupçonnera
jamais son fils. Il ignore tout de sa relation avec nous.—Tu es sûre de toi ?
Sa question me fait froid dans le dos.
—Je n’ai pas d’autre choix.
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Dark Hold (La face cachée du Maitre)
RomancePour Cassie, la Ferme, communauté dont elle fait partie, est tout ce qui lui reste après la mort de ses parents et de sa sœur, Rebecca .Quand le Maître, leur leader, est arrêté pour le meurtre de celle-ci, elle se retrouve seule pour sauver ceux qui...