La famille d’Irène a émis le souhait de récupérer le corps. Bien qu’elle fût en froid avec eux, depuis plus de dix années, sa fille et son ex-mari, ont fait le déplacement depuis le sud de la France pour reconnaître officiellement le corps.
Je n’ai pas été prévenue de leur venue. Irène, aux yeux de la loi, n’était rien pour moi. Pour nous. Une étrangère pour ceux qu’elle a considéré comme sa famille durant une décennie, n’hésitant pas à abandonner sa famille, sa fille unique, pour suivre les principes de vie du Maître.
Je ne l’ai avoué à personne, mais même si nos différents étaient importants, si de la méfiance dictait nos relations, depuis l’arrestation du Maître, j’admirais cette femme. Elle avait une vie paisible, un mari aimant et une magnifique petite fille. J’avais vu son portrait, il y a longtemps, dans sa chambre. Elles partageaient les mêmes yeux espiègles et curieux de tout. Pourtant, pour cette vie « parfaite » n’avait plus suffit à cette infirmière pédiatrique. Elle nous avait confié un jour, en séminaire, qu’elle avait vu mourir bien trop de patients pour se résoudre à vivre sa vie telle qu’elle était. Elle voulait agir. Elle devait agir. L’inaction lui était devenue insupportable.
Elle est pourtant repartie parmi les siens, rejoindre ses parents dans le caveau familial. Aucun membre de la Ferme n’a été convié à ses funérailles. Nous avons fait envoyer des fleurs et une plaque, pour honorer sa mémoire. Les deux nous ont étés retourné, sans mots, sans explication.
Beaucoup d’entre nous, notamment parmi ses plus proches, ont été révolté par cette attitude. Et je sais que malgré les mots d’apaisement que j’ai pu leur donner, beaucoup le sont encore. La communauté en a marre de cet acharnement. Ils en ont marre de passer pour les méchants, pour des victimes d’un gourou ou des fanatiques embrigadés dans je ne sais quelle secte. J’en ai marre aussi.
Et je me retrouve à préparer ses effets personnels, pour les remettre à l’avocat de son ex-époux, comme une simple « collègue » de travail. Sa famille, par pudeur, ou volonté d’ignorance, nous nommes comme cela. En parfaite Berger, sa vie se résume à peu de chose matérielle. Et celle d’Irène tient dans un petit carton de déménagement à peine rempli à moitié. Notre richesse se situe dans notre cœur. Quelques photos souvenir, dont je me doute parfaitement qu'elles finiront probablement à la poubelle. Ses carnets de note, que je jette avec regret dans le feu qui couve dans la cheminée. Ce geste me crève le cœur, mais les règles du Maître sont strictes à ce sujet : Rien ne doit servir à nos détracteurs. Les pensées intimes, les doutes d’Irène, ses remises en question, même subsidiaires de notre façon de vivre, ne doivent en aucun cas, tomber dans les mains des Démons.
—Cassiopée, l’avocat est là. Il veut savoir si tu as fini de ranger les affaires d’Irène.
Absorbée par les flammes, je n’ai pas entendu Martha s’approcher de moi. Elle pose, avec une grande douceur, sa main sur mon épaule.
—Merci, Matha. Oui je viens de finir. Sa vie se résume à peu de chose en réalité. Et je suis persuadée que la plupart vont finir à la benne à ordure ou au feu.
—Ou dans les mains de Faure, ajoute-t-elle les yeux soudain voilés de tristesse. Il a été obligé d’accepter, une fois encore, les conclusions du légiste. Mais il ne croit pas au suicide d’Irène. Il ne peut le concevoir. Il ne lâchera jamais Cassiopée.
—Je sais, je sais bien, Martha. Mais comme maître Thomas me l’a encore répété ce matin au téléphone, la mort d’Irène durant la détention du Maître et d’Elisabeth, démonte un peu plus l’argumentation de Faure. Il a crié au loup une fois de plus avec Irène. Mais, c’est un suicide. Il n’y a plus de doute là-dessus pour le légiste. Il a crié au loup une fois de trop. Nous avons déposé un dossier en recours. Il devrait être examiné prochainement. Et …
J’hésite à poursuivre. Martha m’est fidèle depuis le départ, mais je sais qu’elle a une vision très archaïque de notre communauté. Elle est craintive sur notre développement. Pour elle, grandir ne nous attirera que plus d’ennuies. Elle ne voit pas aussi loin que moi.
—Qui -a-t-il Cassie ?
—Je participe la semaine prochaine à une émission, sur … notre communauté. Nous pensons, avec Judith et notre conseil, que c’est le moment opportun. Nous devons porter le coup de grâce à Faure. Faire douter la population de lui. Le faire douter. L’isoler encore un peu plus.
—C’est à toi de voir, Cassiopée. Tu es notre Maître à présent. Je sais que tu feras tout ce qui est en ton pouvoir, pour le bien de notre famille.
Elle me serre dans ses bras et nous sortons, carton sous le bras, rejoindre l’avocat de l’ex-époux d’Irène, effaçant les dernières traces de sa vie parmi nous.
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Dark Hold (La face cachée du Maitre)
RomancePour Cassie, la Ferme, communauté dont elle fait partie, est tout ce qui lui reste après la mort de ses parents et de sa sœur, Rebecca .Quand le Maître, leur leader, est arrêté pour le meurtre de celle-ci, elle se retrouve seule pour sauver ceux qui...