Chapitre 27

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—Je ne suis pas folle plaidé-je, mes ongles creusant nerveusement les bras de la chaise en bois. Mes yeux parcourent frénétiquement la pièce. Jérémiah a repris ses vas et vient, murmurant des paroles incompréhensibles.

Il se retourne vers moi pour m’envoyer un effrayant sourire chaleureux.

—Je ne dis pas que tu l’es, Cassie. Mais j’ai besoin que tu m’aide à comprendre.

Je le regarde avec de grands yeux inquiets, puis secoue timidement la tête.

—Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as pas encore la foi, finis-je par lui répondre, enfonçant ma tête dans mes mains.

Jérèmiah se met à ma hauteur et prend doucement mes mains dans les siennes.

—Explique-moi. Je veux comprendre.

Je le repousse légèrement et me lève, me dirigeant vers la fenêtre.

—Les voix, celles du Maître dont il parle dans son livre. Celles qui le guident au quotidien. Je crois qu’elles me parlent.

—Cassie, tu es fatiguée. Tu l’as dit toi-même. Parfois notre esprit nous joue tours c’est tout.

—Et Irène ? Tu expliques comment mon rêve ?

Il reste silencieux.

—Je ne suis pas folle ! Si tu ne crois pas aux voix, qu’est-ce que tu fais ici ? Pourquoi as-tu rejoint la communauté ?

—Pour la façon de voir le monde. Pour retrouver un sens à ma vie. Mais les voix … je pensais que ce n’était qu’un folklore, un discours pour subjuger les foules.

Je suis choquée. J’ai placé tellement d’espoir en lui. Mais il ne croit pas en moi.

—Tu devrais partir Jérèmiah. Je vais mieux. Merci pour ton aide.

Mon ton est froid, détachée. Je sens la rage bouillir en moi. Ma vieille amie est toujours là, tapie dans mes entrailles.

Mais elle ne submerge plus. J’ai appris il y a bien longtemps à la contrôler.

Il tente de m’attraper le bras, mais j’ai un vif mouvement de recul, épidermique. Il suspend son geste, laissant sa main à mi-distance de mon bras.

—Cassie, je ne voulais pas douter de toi. Je suis désolé…

—Vas-t’en !

Jérémiah sursaute, tente de percer ma carapace de son regard, puis détourne les talons et me laisse seule, refermant avec douceur la porte derrière lui.

L'air est moite, je me sers un verre d’eau. J’ai subitement la bouche sèche et les mains moites. Je finie par m'affaler dans le canapé. Je me sens sale, quelque chose ne va pas. Jonathan a disparu, encore. Jérèmiah ne crois pas en moi, aux voix. Irène … je ne sais pas. Pourquoi s’est-elle suicidée ? Elle n’avait aucune raison de le faire. Elle devenait, chaque jour, un peu plus populaire. Ma position était affaiblie. Je sais qu’elle aurait pu prendre facilement ma place si l’absence du Maître se prolongeait. Un mauvais pressentiment me serre la gorge. Je n’ai pas parlé d’elle à Jonathan hier. Mais je me rappelle l’avoir appelé juste après qu’elle m’ai menacé. J’essaie de me remémorer mes paroles, mais elles semblent s’être évaporé de mon esprit. Je ne sais plus. J’ai mal à la tête à force de creuser dans ma mémoire. Je me lève en direction de mon armoire à pharmacie. Mon regard se porte alors sur le tube d'aripiprazole posé sur une des étagères. Une part de moi m'incite à en prendre. Rebecca en a abusé après la mort d’Achille. Elle est tombée dans une grave dépression, perdant jour après jour goût à la vie. Samuel a toujours rejeté la médecine traditionnelle. Mais face à sa détresse, je n’ai pas eu le choix. Jonathan m’a soutenue dans ce choix. Je ne pouvais pas la perdre elle aussi. Nous l’avons caché au Maître durant plusieurs semaines, J’ai vu les effets de cet antipsychotique. Je sais qu’il pourrait m’aider à ne pas perdre totalement pied. Pour autant, j’ai peur qu’il ne me coupe de mes rêves. Les voix m’ont choisi. Mais elles sont encore faibles. Je repose le flacon à sa place et laisse glisser mes doigts sur les autres boites, me rabattant sur un peu de paracétamol.

Mon mal de crâne ne passe pas, bien au contraire. J’ai l’impression que mon cerveau va exploser. Soudain, j’ai l’impression de m’effondrer au sol, ne pouvant rien faire pour me retenir.

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Mes paupières s'ouvrent lentement et difficilement. Mes oreilles sifflent, un bruit strident et entêtant me transperce les tympans. Ma tête tourne, ma bouche est sèche.

Le sol, sur lequel je suis étendu, est dur et froid. La dernière chose dont je me souviens est d’avoir révélé à Jérèmiah que les voix m’avaient choisies à mon tour. Tout est blanc autour de moi et semble recouvert d'un épais brouillard.

Je tente de me lever, je peine à bouger. J’ai mal partout. Des larmes perlent dans le coin de mes yeux. Je suis seule.

Malgré mon corps qui hurle de douleur, je réussis à me mettre debout. Je serre ma main sur mon cœur, je suffoque.

Que s'est-il passé ? Et pourquoi suis-je seule ?

La vérité se rappelle à moi, comme un coup de poing en pleine figure. Cruelle et douloureuse.

Jonathan ne m’a pas donné signe de vie depuis le cimetière et j’ai chassé Jérémiah, après qu’il ait refusé de croire en moi, en mes visions.

La douleur qui me parcourait ne s'est toujours pas estompée, et les larmes qui brouillaient ma vue ne sont toujours pas sèches. J’ai le sentiment d’avoir tout perdu.

En se suicidant, Irène va réussir à me voler mon héritage. Je ne suis pas sûre d’avoir la force de résister à un nouvel assaut de Faure. Lui et ses équipes ont quitté la Ferme. Mais, ils vont revenir. Comme un charognard attiré par la mort, il va venir finir son travail. Il ne se s’arrêtera pas avant de nous avoir tous détruits.

J’entend la porte de ma chambre grincer, je me relève avec difficulté.

—Jérèmiah, c’est toi ?

Lorsque je sors de la salle de bain en prononçant ses quelques mots, mes yeux se posent immédiatement sur Jonathan, qui me scrute le regard fermé.

—Désolé de te décevoir, Cassiopée. Ce n’est que moi.

Il détourne les yeux, comme si je le dégoutais, et prend place sur le fauteuil que Jérèmiah a occupé quelques instants plus tôt.

Je me précipite vers lui, mais il me repousse d’un geste de la main, le yeux fixant toujours le sol.

—Alors, lui et toi …

Il laisse sa phrase en suspens, et se met à rire, d’un rire froid et glaçant, passant et repassant ses mains sur son visage, comme s’il cherchait à s’éveiller d’un mauvais rêve.

—Jonathan, ce n’est pas ce que tu crois…

Il se lève d’un bond, renversant son siège dans un fracas qui me cloue sur place.

—Ne me ment pas, Cassiopée.

Il hurle plus qu’il ne me parle. Je ne l’ai jamais vu dans une telle fureur. Je le regarde tétanisée, apeurée, se déplacer dans ma chambre, soudain devenue minuscule.

—Après tout ce que j’ai fait pour toi, pour nous… tu n’as pas le droit de me mentir. Suis-je clair ? me menace-t-il le doigt pointé vers moi.

Ses yeux sont révulsés de colères, les veines de son coup palpitent de plus en plus vite. La colère l’envahie.

Peur

J’ai peur de lui. Pour la première fois de ma vie, il me terrorise. Je sursaute, lorsqu’il s’approche de moi.

—Il … il n’est rien pour moi, d’accord. Il … était là, il n’y a pas longtemps, je pensais qu’il avait oublié quelque chose. C’est tout.  

Je tremble comme une feuille. Jonathan se raidit face à moi, comme s’il cherchait à contenir la rage qui le consume. Ses épaules s’effondrent tout à coup, et il se laisse glisser au sol.

—Tu as promis, Cassie. Tu as promis de ne jamais me quitter. J’ai éliminé Achille pour toi. Et hier… j’ai fait disparaître Iréne.

Dark Hold (La face cachée du Maitre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant