Chapitre 21

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Encore une nouvelle journée. 

Encore plusieurs heures à faire semblant de croire en cette cause en laquelle je n'avais aucune confiance. 

Encore une fois, jouer à ce jeu dangereux. 

Je m'extirpais avec difficulté de mon lit. Mes grands-parents dormaient encore à cette heure-ci, je déjeunais donc seule. Buvant mon café, j'observais le jour se lever. L'aube teintait ma rue de nuances de rose. C'était peut-être la rare chose tranquille que j'avais le loisir de voir dans ma vie ces derniers jours. Je refusais de repartir en mission et je redoutais le jour où Camozzi m'en donnerait l'ordre. L'explosion m'avait traumatisée. Mais c'était les conditions de vie des ouvriers qui m'avaient le plus marqués. Comment pouvait-on réduire des hommes à l'état de machines?

***

J'arrivais une des premières à la caserne. Je saluais quelques habitués et me dirigea vers Sam. Camozzi était déjà là mais j'avais préféré éviter son regard. Je n'avais pas la force aujourd'hui d'affronter mes sentiments en conflit. 

- Tu vas comment depuis hier? Demandai-je à Sam, en simulant un faux sourire. 

- Mieux, soupira-t il avec humeur. Et toi?

- Comme d'habitude. 

J'enfilais mes gants de protection et commença à m'échauffer. Si je m'entrainais correctement, la matinée allait passer plus vite. 

Sauf que j'avais exclu le fait qu'Eliad se trouvait dans le même lieux que moi pratiquement tous les jours. Je m'étais appliquée à l'éviter, en partant plus tôt que mes horaires l'indiquaient mais aujourd'hui on dirait que ce dernier avait décidé de venir à la caserne exactement à la même heure que moi. 

Je venais de sortir de mon entrainement dans la salle de tir lorsque je l'aperçus se battre sur le ring. Mon regard se stoppa sur son corps en sueur. Il se battait avec la force du désespoir, comme si ce combat allait être le dernier. 

Cette vision était d'autant plus étonnante qu'Eliad m'avait plus habitué à une vision attentiste, guettant n'importe quelle occasion pour en tirer l'avantage. Le voir dans un combat noble pouvait presque changer ma vision de sa personne. 

Il avait certes un visage agréable, charismatique. Mais jamais je n'aurais pensé qu'il aurait un tel corps. Qu'eût été une hyperbole, si j'affirmais qu'en face de moi j'avais un Apollon? Il avait retiré son t-shirt, ses abdos brillaient par l'effort, son regard était concentré en face de son adversaire. Ses cheveux lui cachaient presque la vue, mais ne l'empêchaient pas d'avoir l'avantage dans le combat. 

D'ailleurs, son adversaire était assez bon. Ce qui m'étonna davantage. Habillé, Eliad semblait presque gringalet, à l'image de sa façon de vivre qui était de tirer le maximum chez les individus pour son propre bien-être. Ce n'est peut-être pas seulement son physique ou sa soif de vaincre qui m'arrêtèrent ce jour-là. Pour une fois, Eliad dégageait l'honneur. 

- Tu as fini de mater Nina, me demanda Sam en gloussant. 

Je détournais mon regard. J'étais restée plongée dans mes pensées tenant ma bouteille d'eau en main. J'espère que personne, mis à part Sam, m'avait vu admirer Eliad la bouche ouverte et les sourcils froncés. 

- C'est parce que je le connais c'est tout, dis-je en riant avec réserve. 

Sam parut surpris. 

- Lui? Il paraît qu'il connaît des gens importants. Mais je le vois peu à la caserne, on m'a dit qu'il travaillait avec le chef du canton. 

- Ca ne m'étonne pas, murmurai-je, plus pour moi que pour mon interlocuteur. 

- Mais tu le connais d'où toi? Me demanda Sam, plus avide de potins qu'interessé. 

Je restais silencieuse. Non consciemment car je restais sans voix face à la scène qui se déroulait devant moi. Camozzi venait d'entrer dans le gymnase et lorsque Eliad l'aperçut, il stoppa automatiquement le combat. Il se dirigea avec un grand sourire vers le commandant et alla lui serrer la main. 

Camozzi lui répondit avec le même sourire de sympathie. De loin, je n'entendais par leur conversation mais ils semblaient se faire des blagues et se charrier. Bref, il semblaient en très bons termes. 

Eliad avait l'air si proche de Camozzi. Comment était-ce possible?

Je continuais à les observer, sans tenir compte de Sam qui me regardait amusé. Ses manières de savoir tout sur tout le monde allaient peut-être me causer problème. Mais pour l'instant, je devais me renseigner au maximum sur cette prétendue amitié. Et les seules moyens que je possédais étaient de continuer de les observer avidemment. 

J'attendais que Camozzi le quitte. Mais leur conversation s'éternisait. Eliad semblait plus sérieux tandis que mon commandant le regardait avec un air concentré. Au bout d'un instant qui me parut infini, ils finirent par se saluer, de manière aussi chaleureuse qu'au début, et Camozzi quitta le gymnase. 

Sans attendre mon reste, je me dirigeais vers Eliad. La dernière fois que je l'avais vu, il m'avait lâchement abandonné, avant de me jeter comme une vulgaire chaussette. J'avais encore une fierté et il était hors de question que je me fasse marcher sur les pieds. J'allais adopter les mêmes manières qu'Eliad: soutirer le meilleur de mes pairs, tant que cela me profitait. 

- Eliad! 

Je le saluais avec un sourire amusé. 

- Comment vas-tu depuis la dernière fois? Lui demandai-je face à son regard surpris. 

Sans attendre sa réponse, je lui lançais ma bouteille d'eau. Malgré l'effet de surprise, il l'attrapa dans l'élan et l'ouvris. 

- Bien et toi? 

- Je vais bien, dis-je en fixant les mouvements de sa gorge, lui qui avalait le contenu de ma bouteille. 

Sans doute assoiffé par l'effort, il la vida presque entièrement. Je continuais de l'observer médusée, malgré ses regards suspicieux. 

- Tu feras attention... J'ai mis de la cyanure dedans, dis-je en me rapprochant afin d'être entendue uniquement par lui. 

S'il ne me prenait pas pour une folle avant. Dorénavant, c'était chose faite. Il m'appréhenda d'un regard presque effrayé, comme si cette perspective pouvait être réelle. Face à sa tête, j'éclatai d'un rire cristallin.

- Je rigole Eliad... Je n'élimine pas aussi facilement mes adversaires.

Je le regardais avec un sourire malicieux mais lui, contrairement à moi, restait plutôt calme.

Il se rapprocha plus que nécessaire et me glissa avec un sourire froid:

- Et si on faisait un pari?


-

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Samedi 4 mai 2019

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