L'enfance d'un jeune arbre d'argent

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Je dois avouer qu'il y a peu de choses à relater de mon enfance, sinon qu'elle fut heureuse. Je grandis entouré des soins d'une famille aimante et des honneurs accordé à un prince de sang. Je connus les splendeurs secrètes des Milles Cavernes. J'eux même l'immense chance d'y avoir contemplé la plus belle fleur qui s'y épanouit jamais ; Lúthien Tinúviel, fille de Thingol. Quand elle partit en abandonnant sa pérennité, elle emporta avec elle toute la lumière profonde de Menegroth et un peu de la joie de nos cœurs. Longtemps, très longtemps, je la tins pour la plus belle elfe qui ait jamais ouvert les yeux sur le monde.

Ma mère donna à mon père un second fils, que j'aimais avec toute la tendresse d'un cœur de grand frère. Galathil était, comme moi, une âme paisible qui n'aimait pas les conflits, un amoureux de la lecture et de la poésie. Nous passions ensemble des après-midi entiers dans la bibliothèque, des montagnes d'ouvrages érigées autour de nous comme des murailles, et adossés l'un à l'autre, nous lisions chacun de notre côté, en échangeant parfois un commentaire sur nos lectures respectives.

La seule passion qui dans mon cœur parvint à surpasser celle que je portais à la littérature était celle de la botanique. J'avais toujours été fasciné par les plantes, m'émerveillant devant la splendeur des fleurs sauvages qui s'épanouissaient à l'intérieur de nos grottes. Mon enfance fut jalonnée d'escapades à l'extérieur des cavernes pour aller courir dans les bois de Doriath et admirer la vigueur des arbres, les couleurs des pétales des fleurs, écouter le chant d'invisibles oiseaux perchés dans leurs hauteurs de leurs branches, m'enivrer le parfum de la terre et de la douceur de l'air. Oropher ne cessa de me taquiner à ce sujet, me surnommant « laique » ce qui signifiait « plante verte ».

Fils de seigneurs lointainement affiliés à la maison royale, Oropher était légèrement plus âgé que moi, et nous avions tôt lié une étroite amitié. Son caractère autoritaire, emporté, brûlant d'ardeur et de passion, était tout le contraire du mien. Mais malgré toutes nos divergences, les siècles ne surent nous séparer. Plusieurs fois il m'avoua que ma constance était pour lui comme un roc auquel se retenir. Un murmure de mon âme de poète nous compara au soleil et à la lune. Nous partagions tout, et pourtant nous n'avions rien en commun ; je connaissais tous ses secrets, et il connaissait tous les miens... tous, sauf un.

Nous nous retrouvions régulièrement dans la salle d'armes. Mon père avait tenu à ce que j'apprenne très tôt le maniement de l'épée, sans jamais m'en révéler la raison. Quand mon entraînement débuta, j'étais trop jeune pour me poser de questions sur son utilité. A Menegroth, nous ignorions ce que signifiait le mot « guerre ». Nous étions protégés par l'Anneau de Melian qui tenait à l'écart les créatures de Morgoth. Mais je participai aux leçons d'escrime avec application, afin de faire plaisir à mon père, et me découvrit doué pour le maniement des armes. Les professeurs ne tarissaient pas d'éloge à mon égard, louant ma souplesse, ma rapidité, mon ingéniosité. C'est au cours d'un de ces entraînements que j'avais fait la connaissance d'Oropher ; et depuis, comme en souvenir de ce jour, nous descendions régulièrement ensemble dans la salle d'arme, aux heures où on n'y trouvait personne. L'arène résonnait des tintements de nos lames qui s'entrechoquaient à un rythme effréné. Nous ne rompions pas la danse tant que l'un de nous n'était pas à terre.

Oropher usait de sa force avec intelligence, canalisant l'ardeur qui brûlait en lui pour décupler la puissance de ses coups. On lui reconnaissait des talents de bretteur exceptionnels, et rares étaient ceux qui savaient le vaincre en duel. J'étais l'un d'eux. Jamais il ne comprit ce qui l'empêchait de me battre. Je souriais en haussant les épaules, feignais l'ignorance, plaisantait sur la chance et le destin. Avec le temps, j'étais devenu habile à la dissimulation, même si c'était là un talent dont je ne me vantais guère.

Je ne souhaitais parler de mon secret à quiconque ; il était mien, et mien seul, et j'en savourais le goût avec un plaisir égoïste.

— Quand j'aurais un enfant, je veux que ce soit toi qui lui enseigne tout ce qu'il doit savoir, mellon nin, me dit un jour Oropher après un duel particulièrement rude, alors que nous nous dirigions vers ses appartements pour nous y servir un verre de vin bien mérité.

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant