Thranduil Oropherion

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Aujourd'hui, par une belle matinée de printemps, Menegroth était sans dessus-dessous.

Il faut dire qu'Oropher faisait beaucoup de bruit quand il était stressé.

Et par cette belle matinée de printemps, il avait une très bonne raison d'être stressé.

Moi, d'ailleurs, je ne sais pas comment je réagirais à sa place... J'ai toujours eu du mal à gérer les situations d'intense bouleversement émotionnel, et celui-ci en était une de taille...

Bref, j'arrête de tourner autour du pot.

Le fils d'Oropher était en train de naître, et le futur père était dans tous ses états.

Il faisait les cent pas comme un lion en cage, propageant des ondes d'anxiété autour de lui. Son regard était tourmenté, et ses mains tremblaient, croisées dans son dos, tandis qu'il arpentait le hall de long en large. Jamais je ne l'avais vu aussi blême. Depuis un an qu'il attendait cet événement avec excitation, le moment venu, son seul désir semblait de remonter le temps, loin, très loin de ce jour...

Assis sur un banc de pierre dans un coin du hall, je l'observais avec inquiétude sans mot dire. J'avais déjà fait mon possible pour le réconforter ; je m'étais efforcé de rester exemplairement calme et immobile en espérant que cela l'inspirerait. Visiblement, ça n'avait pas marché.

— Oropher, tu devrais quand même t'asseoir, conseillai-je doucement. Viens, calme-toi. Ça ne sert à rien de gesticuler comme ça.

Il ne m'écouta pas, continuant de faire nerveusement les cent pas. Il ne m'adressa même pas un regard. J'abandonnai tout espoir de le raisonner. Au moins j'aurais essayé. Mais un Oropher paniqué n'écoutait plus rien sinon sa propre anxiété. Cet homme était la pire tête de mule que le monde elfique avait jamais connue, quand il s'y mettait. Doux Eru, songeais-je en levant les yeux au ciel, armez moi de patience.

Je me rappelais du jour où Oropher m'avait dit que j'étais un être fait de patience. Il n'était d'ailleurs pas le premier à m'avoir fait une remarque sur mon admirable constance. Mais s'il continuait ainsi, il serait probablement le premier à en venir à bout.

Nous attendîmes.

Sur les parois de pierre du hall, les lumières changeantes étaient les seules témoins du temps qui passait. Il n'y avait à Menegroth aucune fenêtre donnant sur l'extérieur, seulement la grande porte continuellement surveillée par les gardes, et d'autres accès dérobés, plus discrets, permettant d'entrer et de sortir des cavernes sans qu'on puisse voir les mouvements depuis le dehors. La cité souterraine de Doriath était semblable à une fourmilière, songeai-je soudain, bien que cette comparaison n'avait rien de poétique.

Les minutes s'écoulaient comme des heures, et le hall était plongé dans un lourd silence seulement troublé par la respiration erratique d'Oropher. Toujours immobile sur mon banc, je le regardais d'un œil résigné, sans chercher à le convaincre d'arrêter son manège inutile.

Il se calma d'ailleurs de lui-même. La tension et l'adrénaline se relâchant, sans doute ; il vint s'asseoir à mes côtés, soupirant en triturant le col de son pourpoint. Ses doigts tremblaient. Je les repoussai, et défit moi-même la fibule qui emprisonnait sa gorge. Il prit une longue inspiration, puis s'appuya lourdement contre le dossier, comme épuisé. Sa tête s'abandonna sur mon épaule. Ses yeux se fermèrent ; sa respiration s'apaisa. Il s'endormit contre moi, d'un sommeil fiévreux dont je n'osais le tirer. Je fis attention à ne pas bouger, veillant silencieusement sur lui en lorgnant sur la porte obstinément close qui menait au gynécée, au bout du hall. De l'autre côté de cette porte, une femme donnait la vie.

Je me demandais si ça faisait mal. Je n'avais jamais été particulièrement curieux à ce sujet ; la seule fois où j'avais été confronté à ce genre d'événement était quand ma mère avait donné naissance à Galathil, et j'étais encore tout enfant. Mais subitement, une foule d'interrogations se bouscula dans mon esprit. Comment cela se déroulait-il ? La femme et l'enfant souffraient-ils ? Et...

Je fus brutalement tiré de mes questionnements par un cri.

Un cri de femme.

De l'autre côté de la porte close, la femme d'Oropher criait.

Celui-ci se réveilla en sursaut et bondit sur ses pieds, paniqué. En une seconde, il traversa le hall et s'engouffra dans la gynécée. La porte claqua quand il la referma violemment. Saisi, je demeurai seul planté sur mon banc. Le silence était revenu.

Le lendemain, dans la soirée, Oropher vint me trouver, rayonnant, et m'appris avec grande fierté qu'il était père d'un magnifique petit garçon. Il l'avait nommé Thranduil, car il était né à l'aube d'un printemps vigoureux. Sa mère avait prédit pour lui un grand destin.

— Et je la crois sans difficulté, car à peine né, il a déjà manifesté sa force de caractère, s'exclama-t-il en riant.

— De quelle façon ? demandai-je, tandis que nous étions tous les deux installés dans mes appartements à déguster ensemble un verre de vin pour fêter l'événement.

— Eh bien vois-tu, quand on l'a déposé dans les bras de sa mère, la première réaction de Thranduil a été de la gifler.

Je fis tourner le verre de vin entre mes doigts, contemplant les reflets rouges et or qui striaient la surface du breuvage carmin. En effet, ce petit promettait.

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Petit point d'elfique : En Sindarin, "Thranduil" signifie "printemps vigoureux".

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant