Cela fait maintenant un an que Finrod, le frère de Galadriel, était parti. Le temps avait filé plus vite qu'un Silmaril des mains de Fëanor, et désormais, me semblait lointain ce jour où, par une hardiesse qu'aujourd'hui encore je ne m'expliquais pas, j'avais demandé la main de Galadriel une deuxième fois.
Depuis que j'avais eu vent de cette fameuse coutume Vanyar, j'avais décidé de laisser à ma belle le temps de clarifier ses sentiments à mon égard. Je n'étais, après tout, pas pressé. J'étais là, présent près d'elle, et, je l'espérais, pas trop insistant. La peur des premiers temps, la peur qu'elle me repousse, s'était estompée au fil des jours. Galathil, après avoir compris qu'il était vain de tenter de me raisonner, me rappelait tout de même son opinion par des regards désapprobateurs dès qu'il me surprenait en sa compagnie ; mais, tout à exaltation de goûter chaque jour à une proximité plus étroite avec ma bien-aimée, je m'en moquait éperdument.
Au début, ce n'étaient que des sourires échangés, des regards et quelques mots, des rencontres inopinées à la bibliothèque qui s'éternisaient en conversations sur tel ou tel ouvrage. Puis, l'hiver dernier, j'avais osé m'asseoir en face d'elle au cours du dîner. Oropher m'avait décoché un regard incrédule. Lui qui avait classé l'affaire après le mois entier de dépression que j'avais passé cloîtré dans ma chambre, avait, ce soir-là, eu une grosse surprise ; et à le voir penché vers Galathil qui déblatérait à son oreille tout au long de la soirée, il eut droit à une mise à jour détaillée. Ravennë, elle, s'était contentée d'un sourire entendu qui m'avait rappelé sa façon de me dévisager lors de la fête du Printemps d'Arda ; et je compris qu'elle avait tout deviné depuis longtemps.
Depuis ce jour, Galadriel et moi dînions face à face tous les soirs. La Reine m'accueillait avec un sourire avant de se tourner vers Thingol, nous laissant le loisir de nous regarder dans le blanc des yeux. Notre manège avait tant et si bien duré que plus une âme à Menegroth ne devait ignorer la nature de mes sentiments envers elle. Même Thranduil, qui n'y connaissait rien en matière de sentiment, l'avait remarqué et tiré ses conclusions. Un jour, il m'en fit la remarque.
Ce jour-là, malgré tous mes efforts, il ne se concentrait pas sur la leçon que nous travaillions. Lorsque je lui demandai ce qui était la cause de cette distraction, il me regarda avec hauteur et rétorqua que si l'un d'eux devait être qualifié inattentif, ce serait plutôt moi. Surpris, je lui demandai de s'expliquer ; il me dit alors, d'un ton très calme, que cela faisait trois jours d'affilée que je lui dispensait exactement la même leçon, au mot près. Il ajouta, avec dans la voix une pointe d'insolence qui ne me plut pas, que soit j'étais réellement distrait pour ne pas m'en être rendu compte, soit je le prenais pour un idiot qui n'étais pas capable d'assimiler les basiques de grammaire sindarine du premier coup. Pour me le prouver, il commença à réciter les règles de l'imparfait du subjonctif et les illustra en débitant d'un seul trait les conjugaisons du verbe "radoter". Agacé, je le coupai sèchement, et dus le menacer avec le recueil des ballades de Daeron pour qu'il se calme.
Suite à cet incident, je notai plusieurs fois une attitude étrange de la part de Thranduil ; tantôt renfermé et mordant, tantôt excessivement excité et affectueux à mon égard, il semblait se jeter à corps perdu dans les études et recherchait ma présence avec un empressement que je ne lui avais jamais vu. Oropher me parla de son comportement incompréhensible, et je ne sus que lui répondre.
Ce n'est que quand il interrompit, pour la cinquième fois consécutive, une entrevue avec Galadriel à la bibliothèque pour me poser des questions farfelues sans queue ni tête, que je compris soudain le pourquoi du comment. Thranduil était jaloux, comme il avait été jaloux de Tùrin quand on avait voulu en faire mon élève ; il avait peur que ma complicité avec Galadriel, il avait peur que je l'oublie et le délaisse.
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Les tribulations d'une plante verte - livre 1
FanficPersonne ne le voit, mais lui il a tout vu. Voici l'histoire, longue, belle (et humoristique ?) d'un elfe né à l'aube du temps, qui connut la Terre du Milieu jusqu'à ce que les chants des Eldar ne s'éteignent à l'horizon de la mer. Il confia ses so...