Lembas et tarte aux fraises

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Je m'étais levé avec l'aube pour attendre Thranduil dans la salle d'arme pour notre leçon d'escrime, sans même prendre le temps de me sustenter. Il semblait cependant que mon jeune élève tardait à se présenter ; assis sur un rondin de bois qui servait d'ordinaire à caler les râteliers où entreposer les armes, j'aiguisai ma lame, déjà pourtant parfaitement affûtée, mes oreilles sifflantes du crissement de la pierre à aiguiser sur le fil étincelant de l'épée, avec une certaine impatience. Mais plus le temps passait, plus il devenait manifeste que Thranduil ne viendrait pas.

Assez irrité, je finis par me lever pour vider les lieux, et remontai dans les galeries supérieures d'un pas vif, sans vraiment regarder devant moi.

Ce qui devait arriver arriva ; je percutai quelqu'un de plein fouet.

Confus, je contemplai les paquetages enveloppés de larges feuilles éparpillés au sol, et, levant la tête, me retrouvai nez à nez avec Beleg.

— Excusez-moi, balbutiai-je en m'empressant de l'aider à ramasser ses paquets.

En me saisissant de l'un d'eux, je sentis une agréable odeur de pain chaud monter à mes narines, me rappelant que je n'avais rien avalé depuis la veille au soir.

— Il n'y a pas de mal, répondit doucement Beleg en me reprenant le paquet des mains.

Un silence un peu gêné suivit, tandis que nous nous tenions l'un face à l'autre, lui équipé comme s'il comptait partir en voyage, les bras chargés de ses emballages végétaux, moi vêtu de mon épaisse cuirasse d'entraînement, l'épée au côté.

— On ne vous voit plus souvent à Menegroth, lâchai-je soudain, histoire de dire quelque chose.

— J'étais très occupé dans le nord, répondit-il après une hésitation. Les Orcs sont de plus en plus nombreux et agressifs. Et puis j'ai appris ce qui était arrivé, avec Túrin...

Je hochai la tête, ne sachant trop que dire. Il reprit après quelques secondes :

— Je sais ce que vous pensez tous ; mais la vérité est que Saeros l'avait provoqué. Je connais Túrin comme un petit frère ; jamais il n'aurait agi ainsi s'il n'avait pas été insulté. La mort de Saeros n'est qu'un accident, un terrible accident...

Il parlait d'une voix dure, le regard fuyant, et je compris qu'il avait déjà répété ces paroles plusieurs fois auparavant, et qu'il était prêt à les répéter encore autant de fois qu'il le faudrait. Je fus touché par sa détermination à disculper son ami, et cela me poussa à répondre :

— Je vous crois.

Ce n'étaient que trois petits mots, mais à la façon dont Beleg leva ses yeux pervenche vers moi, je compris que ce n'étaient pas que trois petits mots sans signification pour lui.

— Vous êtes bien le premier.

Il m'offrit un grand sourire auquel je répondis.

— Je suis parti une fois à la recherche de Túrin ; je l'ai trouvé parmi les Hommes, et il a refusé de les quitter. Je suis revenu seul en toute hâte, avec l'intention de repartir aussi prestement ; la Reine Melian m'a confié ceci à l'intention de Túrin.

Il désigna du menton sa charge végétale qui sentait si bon le pain chaud et excitait mon appétit.

— C'est du lembas.

— Du lembas pour un Homme ? m'étonnai-je. Ma foi, voilà qui ne s'est jamais vu.

— Il ne s'était non plus jamais vu que des Hommes pénètrent en Doriath, répliqua Beleg. Il s'avère que le monde change, et même à l'abri derrière notre forêt et la magie de la Reine, nous ne pouvons échapper à ces changements. Non plus que nous pourrons rester éternellement cachés.

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant