C'est sous un soleil radieux que le petit bateau fendait les flots de la mer jusqu'à l'entrée des ports de Balar. Depuis les hauteurs du balcon du palais, je pouvais suivre sa progression aussi aisément qu'au sommet d'une tour de guet. Curieux, je tentais de discerner le visage de celui qui se tenait à la proue. Rares étaient les navires à pénétrer sur l'île, et celui-ci provenait de la côte du Beleriand. Qui était-il et que voulait-il ? Quelles nouvelles pouvait-il apporter ?
Je ne m'inquiétais pas, jusqu'à ce qu'il fût assez près pour que je remarque très nettement l'étoile à huit branches de l'étendard déployé sous le vent.
L'emblème de la maison de Fëanor.
Stupéfait, je quittais le balcon avec précipitation. Dans le couloir menant au grand escalier, je rencontrais Gil-Galad qui allait dans la même direction.
— Vous l'avez vu aussi ? me demanda-t-il.
Je lui répondis d'un hochement de tête tandis que nous calquions presque naturellement nos démarches à la même allure. Si un différend nous avait brièvement opposés quand j'avais exprimé ma réticence à me battre, il avait courtoisement demandé mon pardon et j'avais décidé de ne pas lui en tenir rigueur. Nous avions tous les deux soufferts et nous affrontions nos blessures à notre manière. Suite à cela, nous avions beaucoup parlé, et notre relation avait pris un nouveau départ. J'avais découvert, sous le masque du roi sans royaume qu'il portait, un jeune elfe éprouvé par la guerre et les pertes qu'il avait subies. Son père l'avait envoyé auprès de Cirdan alors qu'il était encore adolescent afin de le protéger, et il était mort sans qu'ils ne puissent se revoir. Cela l'avait énormément affecté, bien qu'il ne le montrât pas, et ce deuil silencieux, il le portait dans sa rage de voir Morgoth jeté à bas une bonne fois pour toutes.
— Qu'est-ce que les Fëanorion peuvent encore nous vouloir ? sifflait-il entre ses dents tandis que nous parvenions à l'entrée de la grande cour. Un Silmaril s'est élevé dans les cieux, et les deux autres sont encore à Angband, au cas où il faudrait le leur rappeler...
Quand nous arrivâmes, Cirdan avait déjà accueilli les ambassadeurs des fils de Fëanor sur le port. Nous décidâmes de rester à quelques distances, mais néanmoins prêts à intervenir. On ne savait jamais. Mais les nouveaux arrivants ne semblaient pas animés d'intentions hostiles ; ils n'étaient même pas armés. L'un d'eux confia un rouleau de parchemin cacheté à Cirdan. Gil-Galad et moi échangeâmes un regard où se lisaient la même perplexité.
Puis nous entendîmes Cirdan inviter les messagers à se restaurer en attendant la réponse à rapporter aux Fëanorion, et, avec la plus grande affabilité, les mena jusqu'au château. Nous leur emboîtâmes docilement le pas, sans réellement savoir quoi faire d'autre.
— Ereinion, prononça Cirdan lorsqu'il eut confié ses invités aux serviteurs de la maison.
Et il lui tendit la lettre cachetée.
— C'est à vous qu'elle s'adresse. J'ignore parfaitement ce que peuvent vous vouloir les Fëanorion, mais il semblerait qu'ils décident de tendre la main vers vous.
— Je ne veux pas de leur main souillée du sang de leur propre peuple, cracha Gil-Galad.
Mais il prit néanmoins la lettre, et brisa sèchement le sceau entre ses doigts comme s'il imaginait que ce fut le corps d'un de ses ennemis.
Il déambula dans le couloir en la lisant, d'un air profondément ennuyé qui me donna presque envie de sourire. Mais soudain, il se raidit, et rapprocha le parchemin de ses yeux comme pour mieux voir ce qu'il y était écrit.
— Par Eru ! s'exclama-t-il. Par Eru et tous les Valar !
— Qu'y a-t-il ? m'inquiétai-je. Gil-Galad ?
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Les tribulations d'une plante verte - livre 1
FanficPersonne ne le voit, mais lui il a tout vu. Voici l'histoire, longue, belle (et humoristique ?) d'un elfe né à l'aube du temps, qui connut la Terre du Milieu jusqu'à ce que les chants des Eldar ne s'éteignent à l'horizon de la mer. Il confia ses so...