Prendre son courage à deux mains

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L'hiver touchait à sa fin. J'avais repris ma vigueur perdue, et désormais Oropher ne pouvait plus se targuer de parvenir à me battre l'épée. J'avais pu recommencer à assurer les leçons d'escrimes de mon jeune élève, et, bien que je distillai mes compliments afin qu'il ne s'enorgueillisse pas trop, j'étais fier des progrès qu'il avait fait au cours du temps. Je le voyais avec fierté gagner quelques centimètres ; c'était l'âge où la croissance des elfes s'accélérait, aussi je ne le ménageais pas durant nos entraînements à la salle d'arme, afin que ses muscles s'endurcissent. J'étais aussi garant de son apprentissage intellectuel, et veillait à ce qu'il s'instruisit comme il se le devait. Curieux de nature, il était excellent élève, si bien que le souvenir de nos déboires au début de nos entrevues n'était plus pour moi que source d'amusement. Nous avions d'ailleurs, d'un accord tacite, tracé une croix sur l'apprentissage de la magie. Plus jamais il ne l'évoqua, plus jamais je ne tentai de le lui enseigner.

Ma vie aurait ainsi pu retrouver un rythme paisible et familier, si constamment dans mon cœur n'avait pas pulsé le rappel constant cet échec, me tiraillant en murmurant sournoisement à mon esprit : Galadriel... Galadriel...

J'étais, petit à petit, péniblement, arrivé à l'écarter de mes pensées ; ou au moins à la repousser dans un endroit d'ombre où elle ne m'obnubilait plus aussi intensément. Un sixième sens s'était éveillé en moi, m'avertissant de sa présence avant que je ne la voie. C'était un point douloureux dans ma poitrine, comme une aiguille enfoncée à l'endroit du cœur, qui me tiraillait. Je cherchais à tout prix à l'éviter. Je n'étais pas prêt à affronter son regard de nouveau ; je ne le serais probablement jamais. Aux repas, je veillais à ne jamais tourner la tête vers elle, et Galathil et Oropher m'aidaient de leur mieux en ce sens. Je souffrais en silence et ils en étaient conscients ; un cœur brisé ne se pansait pas facilement, et jamais l'amour, déçu ou victorieux, ne désertait l'esprit de celui qui y avait un jour goûté. Ils me laissaient faire mon deuil et observaient à ce sensible sujet un silence respectueux, et de cela je leur étais reconnaissant.

Ainsi le temps avait passé.

Ce jour-là, après avoir fait cours à Thranduil, je m'étais rendu dans la bibliothèque, déserte et paisible comme à l'accoutumée, dans l'idée d'y passer le reste de l'après-midi. A l'approche des fêtes du Printemps d'Arda qui célébraient la revenue des beaux jours, Menegroth était en effusion ; la bibliothèque demeurait le seul endroit du palais où la pagaille ne s'était pas étendue. J'étais calmement en train de feuilleter un manuscrit traitant de la séduction chez les elfes, quand soudain, un bruit de pas légers me fit lever la tête. Un pas que j'aurais su reconnaître de partout.

Bondissant de mon siège, je remis hâtivement le manuscrit à sa place et me glissai derrière une étagère de livres. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, et mes mains tremblaient. Il ne fallait pas qu'elle me voie. Je ne voulais pas me retrouver face à elle de nouveau. Depuis ma demande en mariage, je l'évitais, et elle n'avait jamais cherché à me revoir. Je ne me souvenais que trop bien de ce jour où elle avait surgi devant moi, dans cette même pièce, ce jour où elle m'avait pris la main pour m'emmener dans ses appartements ; ce jour où nous avions eu notre première conversation... Ce jour où j'avais véritablement commencé à l'aimer, en plus de l'admirer.

J'entendis les pas de Galadriel se rapprocher dangereusement de l'étagère qui me dissimulait, et reculais par prudence. Je me demandais ce qu'elle faisait là, surtout la veille des festivités du Printemps. Une dame de cette qualité devait avoir des foules d'occupations, comme préparer ses robes, sa coiffure... Je savais que Ravennë s'y prenait plusieurs semaines à l'avance afin d'être certaine d'être parfaite – et peu lui importait combien de fois Oropher lui répétait que c'était inutile, qu'elle était déjà parfaite.

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant