Des mots volés sous la tenture

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Après m'être rendu chez Galathil et avoir rassuré Oropher sur l'état de son fils – en profitant pour savourer avec eux un verre de miruvor pour fêter mon succès – je m'étais éclipsé en prétendant d'avoir à faire quelque chose d'urgent. En vérité, aucune tâche pressante ne m'attendait, mais j'éprouvais le besoin d'être seul.

Je venais de me souvenir de la bibliothèque, et de Galadriel.

Je venais de me souvenir que je l'avais, sous une impulsion que je ne comprenais pas, demandée en mariage une seconde fois. Et que je m'étais esquivé avant qu'elle ne puisse me donner sa réponse par des mots. Mais je ne croyais pas cela nécessaire. Je me souvenais aussi du regard qu'elle avait eu pour moi avant qu'Oropher ne fasse irruption. Il me hantait alors que je vagabondai dans les couloirs de Menegroth. C'était un regard où se mêlait surprise, regret et compassion.

C'était un regard qui voulait dire non.

Le désespoir me saisit de nouveau entre ses mâchoires. Mais je me résolus de ne pas me laisser abattre, cette fois-ci. Je serais plus fort que cela. De toute façon, j'aurais dû m'y attendre. Je n'étais pas digne d'elle, assurément. Quel fou j'avais été de croire qu'il y avait encore un espoir !

Autour de moi, le palais bruissait d'animation alors qu'on s'agitait pour parfaire les préparations à l'occasion de la fête du Printemps d'Arda. Ce soir se donnerait un banquet grandiose pour célébrer le revenir des beaux jours, et la salle serait décorée de mille fleurs et mille feuillages en l'honneur de Yavanna. Ordinairement, cette fête me remplissait de joie. Mais aujourd'hui, j'étais presque dégoûté à l'idée de festoyer alors que mon cœur saignait.

Pour me distraire, je décidai d'aller effectuer le petit rituel que j'accomplissais chaque année : aller arroser les verdures disposées dans la grande salle du banquet. Je descendis à l'étage de l'intendance pour m'y procurer le matériel nécessaire avant de reprendre le chemin inverse, d'un pas plus décidé, le bras contracté sous le poids de l'immense arrosoir. En chemin, je croisais Ravennë qui me demanda d'un air passablement irrité si j'avais vu son mari. Pour ne pas compromettre mon frère, je me contentai d'un sourire désolé et la dépassai. J'accélérai inconsciemment le pas en gravissant l'escalier. Si Ravennë mettait la main sur Oropher, je pressentais qu'il allait passer un sale quart d'heure...

Aux portes de la salle du banquet, je croisais Thingol qui avisa mon attirail d'un haussement de sourcil. Je lui expliquai mon dessein, et il fut enchanté de mon initiative. Ainsi, c'est avec la bénédiction royale que j'entrepris de rafraîchir les innombrables plantes de la salle du banquet. C'étaient des plantes venues des forêts extérieures que l'on ramenait au sein des cavernes, et elles devaient probablement avoir besoin d'eau et de soins pour s'accoutumer à leur nouveau milieu.

La grande salle était une gigantesque caverne aux murs chatoyants comme des diamants. La voûte, qui était la plus haute des Milles Cavernes, s'illuminait à l'heure de midi, quand le soleil répandait ses rayons sur le dôme. Ce même dôme sur lequel j'avais demandé Galadriel en mariage la première fois, me rappelai-je avec aigreur.

On n'avait pas encore installé les longues tables à tréteaux qui accueilleraient tous les habitants du palais, si bien que la salle déserte paraissait encore plus immense et impressionnante. Je l'arpentai sur la pointe des pieds pour visiter une à une les plantes, les effleurer du doigt avec délicatesse pour les saluer avant de les désaltérer. J'osais à peine respirer tant l'atmosphère était écrasante.

Puis soudain, j'entendis des échos de voix résonner sous les voûtes. On arrivait. Je m'immobilisai, un peu contrarié d'être dérangé dans mon ouvrage. Mais soudain, je reconnus ces timbres de voix, l'un d'eux en particulier – une voix d'enchanteresse claire comme le cours d'un ruisseau.

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant