Poésie à l'eau de rose

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Une semaine après qu'Oropher m'ai confié la charge de l'éducation de son fils, je me décidais enfin à convier Thranduil dans mes appartements pour notre première leçon.

Celle-ci fut très courte.

J'avais eu l'-apparemment très mauvaise- idée d'avoir voulu commencer en douceur, par quelques notions de poésie. Rien de mieux que quelques vers joliment agencés pour délier l'âme et pousser à la rêverie, n'est-ce pas ? Ou peut-être était simplement moi qui m'était égaré dans une mièvrerie passionnée suite au retour de celle qui avait volé mon cœur.

Mais Thranduil semblait assez réticent. Perché sur une chaise face à moi, il bâilla ostensiblement quand je lui demandai de lire un poème à voix haute. Je ne perdis pas patience. J'en avais vu d'autres avec Oropher, me persuadai-je. Son fils lui ressemblait d'ailleurs quand il s'agissait d'études, aussi obtus, aussi farouchement déterminé à faire la sourde oreille. Je lui souriais amicalement, lui parlais avec gentillesse, suggérais plutôt que donner des ordres, espérant venir à bout de ses enfantillages et son entêtement puérile. Je connaissais cet enfant ; je savais que quand un sujet l'intéressait, il était capable d'une rare application. Il suffisait de le séduire.

Mais l'élève se révélait être bien différent du neveu, et le fils encore plus buté que le père. Les bras croisés, le regard rivé sur ses pieds, une moue boudeuse sur ses lèvres, il ne décrocha pas trois mots, ne répondit à aucune de mes questions, et n'adressa pas un regard au malheureux recueil des ballades de Daeron que je lui avais proposé, qu'il repoussa avec mépris.

J'eus le malheur de me tourner un instant vers ma bibliothèque privée pour y chercher un nouveau livre des yeux en espérant qu'il l'inspirerait davantage ; et ce faisant, durant une minute, je lui présentais mon dos. Le garnement sauta sur l'occasion.

J'entendis un bruit de porte qu'on claque. Je me retournai. Il n'y avait plus personne dans la pièce.

Durant un instant, tout resta immobile, comme figé.

Puis, dans un « sploch » mouillé, le recueil de poésie tomba du pot de plants de rosiers dans lequel Thranduil l'avait jeté, et s'écrasa mollement au sol, trempé et plein de terre.

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Le soir même, au repas qui réunissait tous les pairs de la maison royale, Oropher nous demanda comment s'était passée notre première leçon. Thranduil, assis entre nous deux, leva la tête vers son père, comme s'il le jaugeait, avant de le tourner vers moi. Nous échangeâmes un regard.

Le petit n'était pas stupide ; sachant très bien que la vérité lui attirerait des ennuis, il s'exclama avec un enthousiasme feint que la leçon s'était déroulée à merveille, et que nous devions nous revoir le lendemain. J'admirais malgré moi la spontanéité de sa voix et me demandai même si son entrain était vraiment factice. Puis j'entrais dans son jeu, déployant mes fourbes talents.

Le pauvre Oropher ne soupçonna rien face à notre alliance de menteurs rompus. A nous deux, nous bâtîmes une histoire si convaincante que je faillis croire, l'espace d'un instant, qu'elle était la réalité.

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Le lendemain en cours d'après-midi, quand je pénétrais dans mes appartements, j'eus la surprise de trouver Thranduil, assis sur la chaise qu'il occupait la veille lors de notre désastreux essai de leçon. Jamais je n'aurais cru qu'il reviendrait de lui-même, et j'avais tenu pour acquis que ce qu'il avait affirmé à son père n'était qu'un mensonge parmi tant d'autres.

Nous restâmes face à face, à nous dévisager dans un silence gêné. Ce fut lui qui prit la parole en premier :

— Je ne savais pas que vous mentiez aussi bien.

Je notais le vouvoiement, qui me parut sonner étrangement dans la bouche d'un garçon aussi jeune et qui s'était toujours comporté familièrement avec moi.

— Je n'en suis pas fier, avouai-je avec simplicité, mais j'ai un secret à protéger.

Aussitôt, son regard bleu s'alluma d'une lueur d'intérêt :

— Vous me le direz, votre secret ?

— Un secret connu de plusieurs personnes n'en est plus un, répondis-je en souriant.

Et il sourit en retour.

— Si. C'est justement ce qu'on appelle un secret. Un secret connu d'une seule personne est une dissimulation.

La vivacité de son jeune esprit me plut. Si seulement il l'avait plus volontiers usé lors de notre essai de leçon...

A ma grande surprise, Thranduil se leva, le visage sérieux, et s'excusa pour sa conduite de la veille. Il me sembla sincère. Je devinais que ce brusque changement d'attitude était probablement dû à la peur de représailles de la part de son père. Il devait savoir que je ne pouvais rien dire à Oropher sans me compromettre moi aussi ; mais je comprenais qu'il redoute les foudres paternelles si malgré tout je révélai le pot aux roses. Aussi je décidais de lui donner une seconde chance.

— J'ai cru comprendre que la poésie ne t'intéressais pas vraiment, dis-je avec un sourire mi-figue mi-raisin qui lui fit baisser les yeux. Il te faudra cependant faire quelques efforts. Je m'engage à en faire de mon côté.

Ainsi fut signée une sorte de trêve entre le professeur et son élève. Il marchanda de pouvoir choisir la matière d'une de ses heures de cours, en échange de quoi il promit de se montrer assidu même durant une leçon ennuyeuse. Je lui parlai donc des matières que nous étudierons ensemble. Son regard s'éclaira quand je mentionnais l'entraînement aux armes.

Puis un jour, Thranduil découvrit la liste que m'avais confiée Oropher. Son regard glissant vers la dernière ligne, dont l'écriture n'était pas celle de son père, il m'interpella :

— Celeborn ? Que signifie « magie » ?

Les tribulations d'une plante verte - livre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant