Le marchand de thé - Partie 1

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Shiganshina, 15 octobre 851

« Donc, elle viendrait d'une ligne d'univers où on a assailli la mauvaise base. Elle nous aurait tous vus mourir, et elle n'aurait pas trouvé la machine numéro sept. Maintenant... Pourquoi est-ce qu'elle s'est qualifiée de « désastre » ? »

Un petit silence s'installa. Il était tout juste une heure du matin. Mike, Sasha et Historia avaient été reçus à l'infirmerie ; seuls Marion et ses gardes se trouvaient dans le bureau d'Erwin. La scientifique baissa le menton.

« J'ai dû penser que vous étiez tous morts par ma faute, que ce conflit s'était amplifié car les deux camps voulaient me récupérer, ou encore que ce n'était pas juste que je sois la seule survivante... Non, plutôt les trois à la fois. Ajoutez à ça mes quelques tendances suicidaires...

— Quelques ?

— Quelques.

— C'est à cause de ça que tu es sortie du réfectoire ? »

Elle pinça les lèvres. « Oui. » Livaï plissa les yeux. Dans ce cas, « quelques » n'est pas le bon mot.

« Mike a conjecturé que la modification de son ADN n'avait certainement rien amélioré, rapporta-t-il. Sa force était littéralement redoublée.

— Ça pose un sérieux problème. Si, à la fin, elle perd la tête...

— Si ça ne lui est pas arrivée jusque-là, il n'y a pas de raison qu'elle le devienne, objecta-t-il.

L'autre réfléchit quelques instants.

« Je n'en suis pas si sûr. Lorsqu'elle a failli se faire assassiner en juin 850, elle n'a pas pu se défendre. Plus le temps passe, plus elle devient agressive lorsqu'elle est en danger de mort. Et, à la fin, elle est devenue purement et simplement violente...

— Encore une fois, il y avait beaucoup d'autres facteurs en jeu. On ne peut pas se baser sur de simples suppositions.

— Mais le risque est quand même là.

— Si je peux me permettre d'ajouter quelques éléments... intervint alors Annie. Lorsque je me suis approchée d'elle, elle ne m'a pas attaquée. Elle s'est uniquement focalisée sur Marion.

— Elle a lancé un couteau sur toi, lui rappela le major.

— C'est vrai, mais elle n'y a pas mis de cœur. Elle savait pour sûr que j'allais l'esquiver. Puis, elle n'a foncé sur moi que pour mieux m'esquiver après. En fait, elle a commencé à s'en prendre à nous dès qu'on a avancé l'idée de la tuer. En d'autres termes... Si folie il y avait, elle ne mettait en danger qu'elle-même. »

Quelques secondes coulèrent.

« Je vois, dit finalement le blond. Toutefois... On ne peut pas ignorer les potentiels dangers qu'elle peut nous apporter.

— Et donc, qu'est-ce que tu comptes faire ?

— Pas grand-chose de plus. Seulement vous conseiller d'être plus vigilants. »

Il se tourna ensuite vers Marion... Et écarquilla légèrement les yeux. Livaï la regarda à son tour. Elle se tenait difficilement au mur, et tremblait de tous ses membres.

Oh. On a oublié qu'elle était là... Et on n'a même pas remarqué qu'elle était en train de crever sur place. Il s'approcha d'elle. Pour ne rien arranger, on est trois génies de la psychologie. Il posa une main sur son épaule. Bon, on va quand même essayer de se débrouiller.

« Marion. Quel est le problème ? » Elle leva une main. « Désolée », souffla-t-elle. « Juste que... » Elle s'étrangla. « Se voir mort, c'est pas le meilleur truc », rit-elle nerveusement. Il ferma les paupières un court instant.

« Erwin, je pense qu'on devrait s'arrêter là pour ce soir. » L'intéressé hocha la tête. « Tu peux marcher ? » Elle se détacha du mur, et acquiesça faiblement. Les deux soldates saluèrent le major, et ils quittèrent le bureau.

Une fois dans le couloir, le silence se fit de nouveau. Il jeta un œil à la chercheuse : elle se contentait d'avancer, tête baissée et cheveux devant la face. Ils restèrent bloqués dans ce mutisme lourd un moment. Puis, il se résolut à ouvrir la bouche.

« Tu sais, Marion », dit soudainement Annie, le coupant dans son élan. « Si tu te sens si mal que ça, essaie d'imaginer Livaï qui chante le générique de Sakamoto desu ga. » Il plissa les paupières. Il n'avait pas compris un traître mot de ce qu'elle venait de baragouiner, mais tout ça ne lui paraissait pas très positif.

Quelques secondes coulèrent. Puis, les épaules de la scientifique se mirent à trembler. Est-ce qu'elle va rigoler ? Il vit des larmes tomber de son menton. Ah, non, elle... Mais avant qu'il ne puisse penser quoi que soit d'autre, elle éclata.

Simplement, elle éclata.

Ce qu'elle laissa sortir ressemblait à un étrange mélange de sanglots et de rires. L'ex-ennemie lui tapota le dos, toujours aussi impassible. « Je sais, c'est une scène dure à avaler. » L'autre hocha frénétiquement la tête.

Il put voir l'expression de la garde changer légèrement. Lui-même détendit frugalement ses épaules. Il ne pouvait que la revoir à terre, agonisante, presque noyée dans son propre sang. Cette vision allait certainement rester ancrée dans leur esprit quelques temps.

Mais il n'y avait pas de quoi regretter de l'avoir tuée. Parfois, le choix qui paraissait le plus adapté était aussi celui qu'on aime le moins. Même si on ne sait jamais comment les choses vont finir... Il faut trancher. C'est comme lorsque j'ai accepté d'entraîner Isaac...

Il fronça les sourcils. Mais je n'avais pas le choix, puisque je l'avais déjà fait avant de le faire... Il marqua un arrêt. Que se serait-il passé, si j'avais refusé ? Sous le regard surprise de la scientifique, il reprit sa marche. J'y étais forcé à cause du paradoxe temporel... Non, ça ne colle pas.

Ils arrivèrent au dortoir. « Va dormir », dit-il à la plus petite. « Je vais prendre le premier tour de garde. » Elle obtempéra. Il s'assit sur la chaise de bois dur, et posa distraitement ses pupilles sur le tas de dossier qui reposait dessus.

« Lorsqu'on fait un transfert vers le passé, une nouvelle ligne d'Univers se crée aux coordonnées temporelles où on arrive », résonna la voix de Marion dans son crâne. « Si je suis transférée en 2022, le futur que j'ai connu n'existera plus dans ma nouvelle ligne d'Univers. C'est pour ça qu'Emilie a pu tuer son alter-ego plus jeune. » En d'autres termes... Lorsqu'on voyage dans le passé, on peut réécrire le futur sans que ça pose de problème.

Il entrouvrit les lèvres. J'ai avalé ce que cet imbécile a baragouiné sans me poser de questions. « Paradoxe temporel », mon cul. Marion l'avait dit : ça n'existe pas. Il m'aurait suffi de réfléchir deux secondes pour éviter que ce conflit prenne autant d'ampleur. Marion aurait été tuée, mais on ne se serait pas déchiré la gorge pour la garder chacun dans notre camp. Quoique... Quoique, il a dit qu'ils avaient d'autres enfants à disposition.

Ses doigts tapotèrent machinalement la surface de bois de la table. Mais si c'était le cas, pourquoi est-ce qu'il n'a pas créé une deuxième Marion ? Non, il a définitivement menti. Et c'est qu'il fait bien son job, ce sac à merde.

« Livaï. » Il tourna la tête vers la chercheuse. Elle était assise sur sa paillasse, et le fixait avec des yeux fatigués. « Je suis désolée, mais j'aimerais dormir. » Il regarda son index. « Oh. » Elle acquiesça, et se coucha de nouveau dans ses couvertures.

Se faire du mauvais sang ne mènera à rien... tenta-t-il de se convaincre. Il ferma douloureusement les paupières. Tant pis.

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ᴏʀɪɢɪɴᴇꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ³⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant