Le marchand de thé - Partie 2

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Shiganshina, 30 octobre 851

Ce jour-ci était particulièrement palpitant. Il pleuvait à verses ; le tonnerre faisait trembler les fenêtres ; les officiers s'amusaient à faire courir leurs subalternes autour de Shiganshina. Et, surtout, Livaï quittait la base du Bataillon pour sa permission... Bien entendu, suivi de Marion.

Ils rabattirent leur capuche sur leur tête. Dans la poche du caporal-chef, des sous. Oui, c'était ce jour-ci qu'ils allaient ruiner Hansi, qu'ils allaient la faire payer pour les avoir forcés à danser.

« Où est la boutique ? demanda la chercheuse par-dessus le bruit du vent.

— A l'ouest. Elle m'a indiqué la rue. »

Elle hocha la tête. Ils déambulèrent quelques temps dans les ruelles. Les travaux de rénovation avaient bien avancé : plusieurs quartiers avaient été reconstruits. A l'évidence, les ouvriers ne chômaient pas.

Au bout d'un temps interminable de marche, ils aperçurent une misérable devanture, coincée dans l'une des allées restaurées. « Elle pue la merde », lâcha-t-il. Sa subalterne ne répondit pas, et ils poussèrent simplement la porte du magasin. Mais dès leur premier pas, ils s'arrêtèrent net.

« Bienvenue ! » lança un Kenny affreusement affable. Il se tenait dos à eux, et mettait des boîtes en ordre. « Je peux vous aider d'une quelconque manière ? » Il y eut un silence. Un long silence. Un silence assez suspect pour qu'il se retourne vers eux. Là, il les observa un moment, interdit.

« Oh. »

Après quelques temps, Marion fit volte-face pour partir, mais le vendeur en herbe s'avança pour la retenir. Livaï le stoppa juste avant qu'il ne la touche. Devant son expression menaçante, il finit par reculer de quelques pas. De nouveau, des secondes de malaise coulèrent. Puis, un rictus tordit ses traits.

« Allons, faites pas cette tête de constipé ! finit-il par s'exclamer. 'Fin quoi, vous êtes venus là pour vous payer du thé, peu importe le vendeur. Et puis, sans moi, comment tu ferais pour en boire, Livaï ? Je suis le fournisseur du Bataillon ! Tu devrais être reconnaissant !

— Je me disais qu'il était plus dégueulasse qu'avant, articula celui-ci.

— Ça me va droit au cœur.

— Je n'essaie même plus de me demander ce que tu fous encore à Shiganshina. Mais tenir une putain de magasin... Ta vie est si chiante que ça ?

— Non, je pense que c'est mieux que ça, jeta Marion. »

Son ton anormalement glacial le fit presque frissonner. « Pas de gorge à trancher, pas de bras à charcuter... Quel pauvre homme. Il doit être si désespéré d'avoir perdu tous ses loisirs en si peu de temps. »

Elle se tourna de nouveau vers lui, et le fixa d'un air effrayant. « Alors, dans sa peine immense, il s'est transformé en grand-mère déficiente et gâteuse, et s'est mis à vendre des tisanes pour le transit. » Elle s'approcha de lui, le prit par le col, et rapprocha dangereusement son visage du sien. « Jolie métamorphose », cracha-t-elle. « Presque digne des plus grands marabouts du 93. Quelle est la prochaine étape ? Mendigote ? Tapineuse ? »

L'autre ne répondit pas. Il était trop abasourdi pour ça. Le petit homme lui-même dut retenir sa bouche de béer. Même dans ses rêves les plus fous, il n'aurait jamais pu se figurer une Marion aussi furieuse.

Elle le lâcha alors, et le regarda de pied en cap avec mépris.

« Puisque t'es là, va me chercher du thé vert.

ᴏʀɪɢɪɴᴇꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ³⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant