*clap, clap* - Partie 7

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De nouveau, un long moment d'immobilisme. Eren se tenait dos à eux, raide comme un piquet. Armin avala un peu de salive dans l'espoir de dénouer sa gorge affreusement serrée. Mikasa, elle, tendit faiblement la main vers lui, puis baissa les pupilles. Ses lèvres se pincèrent brièvement. Au prix d'un effort manifestement colossal, elle les ouvrit enfin.

« Eren...

— Boucle-la. »

Elle écarquilla les paupières. Sa voix sèche heurta le jeune stratège lui-même, qui tenta de faire un pas vers lui. Il fut incapable d'avancer plus que cela. « En fait, t'aurais dû fermer ta gueule dès le début. Personne n'a besoin de savoir que les Ackerman ne sont que des clébards qui suivent leur maître sans se poser de question. »

Les larmes qu'elle était parvenue à retenir jusque-là dévalèrent ses joues en abondance ; mais aucun sanglot ne les saupoudra. Le blond, lui, resta cloué sous le choc. « Je savais que t'étais chiante, mais je viens de réaliser à quel point c'est malsain. N'essaie même pas de me dire que c'est faux ou je ne sais quelle autre connerie. » Il se tourna vers eux. Son air était lugubre.

« Et le caporal lui-même... » continua-t-il sur le même ton dégoûté. « Il est à la botte de qui, lui ? Erwin ? Ça ne m'étonnerait même pas. Je comprends mieux pourquoi il suit ses ordres à la lettre. Lui aussi, ce n'est rien de plus qu'un ch... »

Un claquement sec le coupa net.

Les trois hoquetèrent. Marion venait de mettre une baffe digne de ce nom à Eren, qui se tenait désormais la joue avec stupéfaction. « Un quoi ? Vas-y, j'attends. Livaï, c'est un quoi ? » Il ouvrit la bouche... Mais, face à la grimace sourdement furieuse qui tordait ses traits, il dut se contenter de déglutir.

« Reprenons ta réflexion. Puisqu'ils ont été génétiquement modifiés, ils ne servent qu'à suivre les ordres et à tuer... Comment tu as dit, déjà ? Sans se poser de question, c'est ça ? » Elle caressa son menton, plongée dans une méditation ironique.

« Mmh, oui. Oui, je vois. Dans ce cas... Tu sers à quoi, toi ? » Il se raidit. « A jouer aux bourrins en gueulant grâce aux magnifiques cordes vocales dont ton titan a été doté via ton ADN, gagné. » Son rire bref se coupa aussi brutalement qu'il n'apparut. « Mais, Eren », articula-t-elle, « il me semble qu'on ne t'a pas donné de gène pour réfléchir. »

Silence. L'intéressé fit la carpe un long moment, mais finit par simplement baisser ses prunelles émeraude sur les dalles. Un profond trouble s'y lisait. « Tu sonnes comme un hybride de Jean et d'Ymir... » Elles tournèrent à l'humide ; au bout d'un long moment, la scientifique relâcha ses épaules. « Peut-être. »

Tous restèrent figés quelques temps. « Bref », murmura-t-il sur un ton d'excuse. « Le caporal a dit qu'il fallait allumer les torches... » Ils hochèrent la tête. L'asiatique s'essuya les joues, la chercheuse fut rejointe par l'ex-ennemie.

La mèche blonde de celle-ci recouvrait négligemment la moitié droite de son visage, comme pour mieux le cacher. Elle avait certainement envie de passer un peu de temps en solitaire, et se retenait manifestement de mettre sa capuche sur sa tête, habitude qu'elle avait abandonnée depuis qu'elle était entrée au Bataillon.

Ils traversèrent de nouveau le rez-de-chaussée, passèrent devant le petit hall carré, descendirent les marches qui continuaient l'escalier menant aux étages, ouvrirent les battants de bois, pénétrèrent la chaufferie.

La pièce possédait toujours ses tables rondes, ses chaises de bois et son sofa. L'âtre était toujours animé de flammes dont la chaleur remontait dans les tuyaux, et le coffre du fond contenait toujours les allumettes dont ils allaient avoir besoin. Ils les prirent, et firent leur affaire. Une fois les corridors éclairés par la lumière jaune qu'ils connaissaient bien, ils se dirigèrent vers le restaurant militaire.

« On n'a jamais modifié la mémoire d'un Chaillot »... pensa Armin. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Il entrouvrit les lèvres. Antoine... Son nom de famille était Chaillot... Yeux clairs, cheveux noirs... Ne me dites pas que c'est la même personne ? Cette fois-ci, il s'arrêta net dans sa marche. Dans ce cas, il était lié à Marion ! Mais si ses souvenirs ont été modifiés... Est-ce que le lien est assez viscéral pour survivre à ça ?

« Armin », se plaignit subitement Eren. L'intéressé fut tiré de ses réflexions : ils avaient failli se cogner. Il balbutia une excuse. « C'est pas grave », souffla l'autre. « Fais juste gaffe où tu marches. »

Ils reprirent leur avancée. Son ami se posta à sa droite pour l'étudier discrètement. Ses traits étaient sombres, une ambiance pesante régnait autour de lui. Il avait certainement compris la portée de ses mots, et Mikasa paraissait partagée entre la douleur et le soulagement. Marion se tenait d'ailleurs à côté d'elle d'un air singulièrement attentif.

Oui, voilà, Marion. Est-ce que le caporal serait attaché à elle ? Il soupira. Je n'arriverai à rien seul. Le réfectoire se présenta à eux quelques mètres après la sortie des escaliers aux marches légèrement inégales. Il s'approcha de la chercheuse, et lui sourit. « Marion... Est-ce qu'on pourrait se parler, pendant le dîner ? » Elle le gratifia d'une expression étonnée, mais acquiesça, après un dernier coup d'œil pour l'asiatique.

Il n'eut pas besoin d'en dire plus : ils se dirigèrent seuls vers les marmites posées sur les tables alignées au fond du restaurant. Comme d'habitude, ils prirent un plateau et leurs couverts, laissèrent Conny leur servir les haricots en marmonnant un petit « Je les ai fait cuire cinq minutes de trop », et s'assirent enfin tous les deux.

Elle prit le temps de boire son verre cul sec. Elle et la soif, c'était une grande histoire d'amour. D'ailleurs, l'ex-ennemie s'était négligemment installée loin des autres d'un air particulièrement renfermé – cela, la jeune femme ne pouvait pas le voir... Mais entendit sans problème Hansi débarquer près de la blonde dans un « Salut ! Je peux me mettre ici ? » enjoué qui résonna un peu partout. Elle n'aime pas laisser les gens seuls.

« Donc ? » demanda la plus petite des deux, qui le scrutait avec concentration. Il toussota. « A propos du caporal... C'était Antoine, n'est-ce pas ? » Elle baissa le regard sur sa plâtrée, et prit le temps d'avaler une bouchée. « Je ne peux pas te donner d'information là-dessus. » « Oui », traduisit-il. « Il était lié à toi ? »

Cette fois-ci, elle pinça les lèvres.

« Antoine ? On dirait bien.

— Et dans le cas d'une modification de mémoire... A titre informatif, précisa-t-il. Que penses-tu qu'il se passerait ? »

Ses prunelles vertes reflétèrent son soulagement : elle avait désormais la possibilité de se dédouaner. « Cela dépend. Si les souvenirs ont été entièrement remplacés, et que la personne ne se souvient plus de celle à qui elle était attachée, peut-être que le lien peut se briser. Si Antoine m'oubliait... » Elle s'étrangla avant d'avoir pu achever sa phrase.

Son interlocuteur baissa le regard. Les mogettes étaient certes un peu brûlées, mais la sauce claire parsemée de quelques feuilles de thym dans laquelle elles baignaient était tout à fait correct. Leur camarade s'était considérablement amélioré ; lui et Verhofstadt, l'ancien chef d'équipe de Leah qui avait également perdu une jambe, faisaient du bon boulot.

« Il n'est pas impossible que quelqu'un retrouve ses souvenirs. Ça t'est bien arrivée.

— Ils n'avaient pas les moyens, dans la base sud. Le processus n'était pas complet, et bien moins efficace qu'au vingt-et-unième.

— Il y a tout de même forcément des restes ; et peut-être que si cela arrivait à Antoine, un peu de ce lien resterait.

— Ça ne serait pas pour le mieux. »

Il releva le menton avec étonnement. La face de l'autre était marquée par une profonde fatigue. « Si cela était vrai, je ne pourrais pas faire mon deuil. » Il entrouvrit les lèvres. Elle se raccroche à l'hypothèse que le caporal serait une personne à part entière. « Je vois », dit-il toutefois. Il finit son dîner, et se leva. « Merci pour tes réponses. » Elle se contenta de fixer le pichet ; puisqu'il ne pouvait rien faire d'autre, il la laissa là.

Mais on ne peut pas ignorer cette possibilité...

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ᴏʀɪɢɪɴᴇꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ³⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant