La Trinité Poitevine - Partie 8

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Stohess, Mur Sina, 4 décembre 851

« Hitch... » Elle ne se retourna pas. « Hitch, écoute-moi. » Elle continua d'avancer. « Hitch, bon sang ! » Elle amorça le virage conduisant à l'aile droite de la base, et s'apprêta à accélérer... Lorsqu'on lui attrapa le poignet.

Marlowe la retint assez fermement pour qu'elle s'arrête. Elle garda toutefois le menton baissé. L'autre soupira. « Écoute-moi, quand je te parle... » Son ton brisé par le regret la frappa en plein ventre.

« Je suis désolé », continua-t-il. Elle serra les dents. « J'ai juste... J'ai vu son fusil, et... » Il s'étrangla. Elle resta muette. Sa gorge était trop nouée pour qu'elle puisse articuler quoi que ce soit – et puis, elle n'avait pas recommencé à l'ignorer pour rien.

Quelques secondes passèrent. Elle sentit les doigts du brigadier la serrer un peu plus. « Et là... » Il inspira longuement.

« Je t'ai déjà expliqué. C'était peut-être un peu comme toi...

— Tu ne m'as pas crue crevée.

— Mais je ne voulais pas que ça arrive. »

Elle contracta les poings, piquée au vif, et se retint de justesse de lui en mettre un dans la gueule. « Tu ne voulais juste pas avoir ma mort sur ta conscience », débita-t-elle à la place. « Tu as voulu jouer aux braves, comme toujours. Comme moi, tu dis ? Tu n'as pas voulu te sacrifier pour me sauver, mais pour ton honneur, car c'est tout ce qui te fait avancer, avec la justice et l'héroïs... »

Elle ne finit pas sa phrase : le jeune garçon la serra subitement contre lui. Son cœur rata un battement. Elle ne put que se taire lorsque ses bras l'entourèrent. Son rythme cardiaque trop élevé la cloua sur place ; ses yeux écarquillés tournèrent à l'humide.

« Je suis désolé », murmura-t-il. Elle entrouvrit les lèvres. Au bout d'un long moment, une larme lui échappa, puis un sanglot. Elle fourra son nez dans les avant-bras de son camarade, posa ses mains dessus, les contracta jusqu'à ce que ses phalanges blanchissent. Il l'étreignit un peu plus, et elle fit de même.

La poitrine chaude du nouvel officier était assez collée à son dos pour qu'elle en discerne les pulsations effrénées. Les siennes n'étaient pas dans un meilleur état, et il l'avait certainement remarqué. La pression qui les opprimait ne suffisait pas à les canaliser.

Elle tenta d'expirer légèrement : son souffle saccadé lui ôta toute discrétion. Elle pouvait dire merci au mélange de fureur, de tristesse et de trouble qui malmenait son cœur. Dans la crainte de s'y perdre, elle s'agrippa un peu plus au soldat.

Elle ne voulait pas que ce contact se rompe.

Les longs instants qu'ils passèrent ainsi furent trop fragiles pour qu'ils en brisent le silence. Ils se contentaient de se tenir là, l'un contre l'autre, la respiration et le coffre tremblants à l'unisson. Elle ferma les paupières. C'était la première fois qu'elle sentait son odeur... Mais Marlowe la lâcha avant qu'elle n'ait pu se faire un avis dessus.

Hitch essuya rapidement ses joues mouillées et brûlantes, et fit l'effort de se tourner vers lui. Son regard fuyant lui arracha un rictus moqueur, bien que mitigé par son propre embarras. Une distance décente les séparait de nouveau.

« Tiens », grommela-t-il en lui tendant un mouchoir. « Je dois retourner à l'infirmerie. » Sur ce, il tourna les talons, et elle resta plantée là, son étrange cadeau fourré dans la main droite.

Elle observa le bout de tissu sobrement blanc. Elle lui en voulait toujours terriblement, et pourtant, un rire nerveux sortit de ses lèvres. « C'était quoi, ça ? » Elle s'étira dans l'espoir de calmer ses muscles frissonnants, ignora la nature complètement vaine de son geste, et repartit vers les dortoirs. « Ce gars est encore plus con que ce que je pensais... »

***

Stohess, Mur Sina, 7 décembre 851

Sannes sortit des cachots en grommelant. Il avait temporairement élu domicile dans une chambre d'officier de la base des Brigades de la cité. Si sa mutation ne lui plaisait pas vraiment, il pouvait au moins se réjouir que son grade de chef d'équipe de l'Intérieur lui serve à quelque chose.

Naile Dork avait enfin daigné expliquer la situation à l'escouade de fortune que lui, Marlowe, Boris et Hitch formaient. Si ces derniers avaient été presque atterrés – bien que Hitch se soit permise de rire une fois dehors – lui n'était pas si surpris que ça.

Les américains, il en connaissait un rayon. Créer un système si peu commun était plutôt du style de la R2.0, mais puisque c'était Marion qui en avait décidé ainsi, ils s'y étaient certainement pliés sans se poser de question. Le pire était que cette idée était particulièrement efficace... Qui penserait à traquer des chèvres poitevines pour trouver le code de la machine numéro sept ?

Il venait tout juste de finir de torturer les deux hommes qu'ils avaient capturés. La seconde chèvre était censée se trouver au nord de Maria, avaient-ils dit. Il le savait, c'était son anglais qui lui avait permis de leur arracher cette pauvre information.

Il avait été envoyé dans les Murs par Stéphane Bern il y avait plusieurs décennies de cela, alors qu'il était encore adolescent. Sa mission : infiltrer l'Intérieur via les Brigades afin de surveiller de potentiels ennemis. Il fallait bien des Résistants dans toutes les branches militaires. Les rassembler uniquement au Bataillon aurait été une très grave erreur.

Des américains, il en avait discrètement tué quatre ou cinq ; et, heureusement pour lui, on ne l'avait jamais soupçonné tant son rôle de type aveuglé par sa foi envers le Roi était convainquant. Désormais, et à son grand soulagement, ils ne devaient pas être plus d'un ou deux survivants. Enfin, c'est deux de trop...

Mais quand même, il avait galéré, pour atteindre le top de sa promotion. Et il avait eu chaud : il était arrivé dixième de justesse. Six en combat, c'était le minimum requis. Il n'était pas non plus doué en travail d'équipe, malgré tous les efforts qu'il faisait pour améliorer cela.

En réalité, d'après les commentaires du chef-instructeur de la division Est de l'époque, c'était sa capacité à garder un objectif clair lors de missions qui l'avait sauvé... De peu. Même Hannes, le gars qui s'enfilait dix bières d'un coup lors de leurs beuveries de cadets, l'avait dépassé : il avait atteint la cinquième place, ce bougre !

Mais il devait avouer que celui-ci s'en était bien sorti, à la Garnison, pour que Pixis l'élève au rang de capitaine. D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'il n'est pas allé dans les Brigades, lui aussi ? Il haussa les épaules. Le mystère resterait entier... Et il avait d'autres choses à faire que de penser à un vieil ami qu'il ne reverrait plus.

Il remonta les escaliers humides. Les murs eux-mêmes transpiraient à moitié : il pouvait le voir, à la manière dont la flamme jaune des torches se reflétait sur les briques grisâtre à la découpe de fortune. Au moins était-il impossible de trouver du béton dans ce pays mal rafistolé. Il avait ce matériau en horreur.

Il faut que je fasse remonter les nouvelles fraîches à Dork. Il était bien dix-neuf heures, au vu de la noirceur du ciel, et de son estomac qui grondait déjà. Il renifla avec peu d'élégance – il s'en carrait un peu, personne ne l'accompagnait – et traversa la cour rectangulaire gentiment ornée d'une fontaine en son milieu.

Il bruinait désagréablement, le froid mordait ses doigts. Sannes bougonna face à ces intempéries particulièrement agaçantes... Du moins, jusqu'à ce que sa botte ne glisse sur les pavés lisses, et qu'il manque de se ramasser la tronche. Son cœur rata un battement, et il retrouva son équilibre juste à temps.

« Saloperies de semelles de merde ! » Il accéléra, bien que prudemment. Il retrouva enfin la galerie qui longeait l'espace, dont le plafond courbe était soutenu par quelques piliers finement dessinés. Après avoir repéré la porte menant au couloir intérieur, il reprit sa marche.

Pas de temps à perdre : ils avaient encore du pain sur la planche, c'était certain.

Lien vers l'image : https://snk-furbies.tumblr.com/post/178732036546/hitch

ᴏʀɪɢɪɴᴇꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ³⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant