37. 𝐿𝑒 𝑚𝑖𝑟𝑜𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑙'𝑎̂𝑚𝑒

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Billie Eilish - everything i wanted

Ce dont j'ai vraiment besoin, là maintenant, c'est d'un sac de frappe sur lequel je puisse me défouler sans retenir mes coups. Perdue dans les ruelles sombres de Los Angeles, j'ai passé des heures à déambuler sans but, avant de me faire surprendre par la nuit. Un mur est tout ce que j'ai à disposition. Je m'arrête donc et serre le poing hargneusement, me préparant à accueillir cette vieille amie. Je frappe une, deux, trois, fois. Je continue jusqu'à ce qu'elle soit la seule chose qui se déverse dans mon corps, chassant tout le reste.

La douleur est comme cette connaissance de longue date que l'on n'a jamais réellement pu supporter, mais que par la force des choses, nous continuons toujours à côtoyer. On finit par s'habituer à sa présence, tout comme des tas de gens s'habituent à des tas de choses auxquelles ils ne devraient pas.

Lorsque je m'entraîne, je m'arrange généralement pour qu'une seule de mes phalanges soit atteinte. Celle du majeur puisque c'est cette dernière qui entre en contact en premier et fait donc les frais de ma colère avant les autres. Une par main, c'est un bon entre-deux. Mais ce soir la volonté me manque. Comme lorsqu'un alcoolique se dit qu'il ne boira qu'un verre, je ne peux m'empêcher d'aller plus loin. Je frappe encore et encore, jusqu'à avoir les mains en sang. Pourtant c'est comme si quelqu'un s'était emparé de mon corps à ma place. Absorbée par le flot d'hémoglobine qui s'écoule, je le regarde se répandre doucement au sol, créant un petit tapis pourpre dans la nuit noire.

Je ne me trouve pas dans les quartiers les mieux famés de Los Angeles, aussi je relève anxieusement la tête lorsque que l'ombre de deux silhouettes se dessinent à quelques mètres de moi. La pénombre ambiante, seulement compromise par quelques lampadaires grésillant, me laisse distinguer avec peine, deux types aux gros bras et à l'air louche. La faible clarté renvoyée par les poteaux lumineux prête à la ruelle des airs de scènes de crime morbide. Un frisson me parcourt l'échine.

Les deux hommes continuent d'avancer lentement, m'autorisant enfin à entrapercevoir leurs visages. Ils m'étudient rapidement de haut en bas, comme un félin dévisage sa prochaine victime. Puis leurs regards tombent sur le sang à mes pieds, couvrant mes baskets et mes mains, avant de plonger dans mes iris, flamboyants de rage et de folie. Ils esquissent un mouvement de recul, et se concerte du regard rapidement. Je ne bouge pas, mon regard rivé sur eux, pareil à un animal sauvage sur le point d'égorger sa proie. En une fraction de seconde, la situation s'est inversée. Ils détournent finalement la tête et passent leur chemin, déstabilisés.

Quelqu'un a dit un jour que les yeux étaient le miroir de l'âme, et en cet instant, il ne pouvait pas avoir plus raison. Ces traîtres laissent entrapercevoir l'enfer qui fait rage en moi, reflétant le désespoir, la haine, et cette indomptable colère, qui résonne à chacun de mes pas. 

Accablée, je me laisse lourdement tomber contre le mur, hurlant mon mal-être dans un cri guttural et glaçant, qui vient percer l'obscurité silencieuse.

T'es sérieusement atteinte, ma pauvre.

J'attends que les larmes coulent sur mes joues, comme un rescapé espère trouver une oasis dans une étendue de sable subsaharienne. J'ai besoin d'une preuve qu'il me reste encore un peu d'humanité après tout ça. Mais dans le désert de mon cœur, la douleur à tout chassé, le froid de la nuit, la peur de perdre Aiden, et la déception de constater une fois encore, à quel point je suis en vrac. Je m'endors les yeux sec, persuadée de sombrer un peu plus dans la folie, à chacune de mes inspirations.

***

Lorsque je m'éveille, plusieurs heures plus tard, un coup d'œil à mon téléphone m'apprend qu'il est près de six heures du matin. Je n'ai aucune idée d'où je suis. Ma première pensée est due à la douleur dans mes phalanges explosées. La deuxième va à Aiden. Une journée de plus vient de s'écouler et je n'ai toujours aucune idée de comment le sauver. Wyatt n'attendra pas, il est du genre à régler un problème avant qu'il n'en devienne réellement un. Si ça se trouve, c'est même déjà fait, me chuchote une petite voix dans ma tête. Ma gorge se serre. Mais à quoi est-ce que je pensais ?

Je me déteste.

Incapable de rester ici une seconde supplémentaire, je prends mes jambes à mon coup. J'entame le sprint de ma vie, courant plus vite qu'il ne m'ait jamais été donné de le faire. Je ne m'arrête qu'une fois arrivée devant la porte d'Aiden, et ce malgré les protestations de mes poumons, réclamant de l'air à grands cris. J'appuie sur la sonnette avec frénésie, harcelée par la peur qu'il soit parti sans même que j'ai pu lui dire au revoir. Ces fichues larmes que j'ai tout fait pour voir couler hier se déversent sur mes joues sans que je ne puisse y exercer aucun contrôle.

Pas un bruit ne résonne à l'intérieur de l'appartement. C'est trop tard. Mon corps flanche. Mon cœur m'abandonne. Il cesse sa course régulière pour accélérer de plus en plus. Ça y est, je le sentais. Mes mains deviennent moites. J'ai l'impression que la température du couloir, devenue trop exiguë, monte en flèche. J'étouffe. Mon souffle est court. Mes jambes sont lourdes.

Je distingue une porte qui s'ouvre au ralenti, puis des mouvements brusques, des cris. Une deuxième silhouette passe devant la première et m'entraîne à l'intérieur tandis que je me concentre pour continuer tant bien que mal de respirer. Je déploie tous mes efforts pour tenter d'insuffler l'air nécessaire à mes poumons, mais ça ne fait qu'empirer les choses.

Je crois que le pire dans une crise de panique, c'est cette sensation de vide et de trop-plein en même temps. La terreur qui paralyse nos gestes et éteint nos réflexes, et surtout, cette désagréable impression de perdre le contrôle. Doucement, des mains froides viennent se poser sur mes joues et une voix me parvient à travers la torpeur dans laquelle je suis plongée.

— Isis, regarde-moi. Tout va bien. Respire, ça va aller.

Plus que le réconfort contenu dans cette voix, c'est l'identification de son propriétaire qui vient crever l'abcès de ma détresse. Aiden est là, vivant ! Le son mélodieux qui se déverse de ses lèvres m'ordonne d'inspirer et d'expirer lentement. J'obéis. Mes poumons acceptent enfin de coopérer. Ils le savent, il n'y a que lui capable de gérer mes crises. C'est tout mon corps qui lui voue une confiance aveugle.

Sans même que j'en ai vraiment conscience, ma panique se dissipe, et mes cruels organes m'autorisent enfin à respirer normalement. Le brun me prend dans ses bras délicatement et ma tête vient instinctivement se poser contre sa poitrine. Mon cœur ralentit sa course folle, prenant exemple sur la cadence régulière du sien, tandis que la température redevient supportable.

Ce n'est alors que je lève la tête et remarque Nash. Avec l'air torturé de quelqu'un s'apprêtant à effectuer une basse besogne, il nous pointe de son pistolet.

Alors là, on est sacrément dans la merde.

𝐋𝐚 𝐍𝐞́𝐛𝐮𝐥𝐞𝐮𝐬𝐞 𝐝𝐮 𝐂𝐨𝐞𝐮𝐫 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant