Crève-Cœur

Chapitre 7

J'ai passé ce dimanche apathique, couché dans mon lit, essayant de trouver une suite à mon roman, m'empiffrant de pizzas et de barres chocolatées.

Le jour suivant, je me dirige d'un pas rapide au café. La journée est calme et je fais ce que j'ai à faire sans encombrement. Jusqu'à ce qu'elle passe le seuil de la porte. La dernière personne que je voulais voir : Charlie. Pourtant la personne dont j'ai le plus besoin. Je le sens tout au fond de moi.

Je file dans la réserve. Il ne faut pas qu'elle me trouve. Je ne pourrais pas m'empêcher de succomber à l'envie de lui parler. Mais c'est trop tard. Et lorsque je vois ses grands yeux sombres sur moi, mes joues s'embrasent. Quel idiot !

« Pourquoi tu te caches exactement ? m'interroge-t-elle, vexée. »

Je la contourne pour retourner travailler. Je n'ai pas le courage de l'affronter. Je n'ai pas envie de la blesser. Et il ne faut surtout pas que je croise son regard perçant. Je sers la commande à une table, prépare deux macchiato et consulte les serveurs. Tout en continuant d'éviter Charlie et ses yeux trop vifs. Mais c'est impossible : elle me suit partout dans le restaurant, essayant de capter mon attention. Malgré toutes mes tentatives pour l'éviter, je ne tiens plus et lui réponds enfin :

« Quoi ! Quoi Charlie ? »

Mon ton colérique l'effraie un peu, mais elle retrouve rapidement sa force mentale et son obstination ne cesse de faire accroitre la colère qui m'habite. Elle se recoiffe, souffle puis commence :

« Pourquoi tu ne m'as pas appelé ? Je suis désolé d'avoir fouillé dans tes affaires, mais tu ne peux pas rester en colère contre moi pour une chose si vaine que ça. J'avais besoin de réponses, j'avais besoin de savoir qui nous étions l'un pour l'autre. Tu peux comprendre ça, non ? »

Je baisse les yeux, et fixe mes grosses chaussures noires. Je n'ai pas envie de répondre à ses questions.

« Laisse-moi Charlie. Tu as découvert qui j'étais pour toi. Tant mieux, maintenant retourne vivre ta vie et laisse-moi de mon côté. Je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as certainement pas besoin de moi. C'est du passé. Tu fais partie du passé. Et je n'ai pas envie de vivre dans le passé. »

Elle ne répond pas. Maintiens juste un regard profondément blessé sur moi. La bouche mi-ouverte, je regarde un instant ses lèvres rosées au baume à lèvres. Je lui tourne le dos et m'éloigne. Je viens de la blesser. Mais j'ai mal autant qu'elle... Derrière le bar, je l'entends me crier, au milieu de tous les autres clients :

« Tu n'as pas compris. Je ne cherche pas à sortir avec toi, ou ne serait-ce coucher avec toi ! Je veux juste qu'on redevienne amis comme avant ! Mais étant donné que tu n'es qu'un sale con, je ne perds pas grand-chose. »

Tous les regards sont rivés sur elle. Mon cœur se serre à l'entente de ces mots tranchants comme des lames. Je l'observe, attristée, quitter mon lieu de travail. Les clients et mes collègues me dévisagent. Les joues rouges, je vais aux toilettes pour cacher mon embarras. Je me passe de l'eau sur le visage. Une bonne raison pour ne pas discerner les larmes qui coulent sur mes joues.

Je ne suis même pas encore mort que je lui fais déjà du mal. Et elle vient tout juste de réapparaitre. Je déteste ça.

Le soir, je reste cloué à ma chaise pour poursuivre mon roman. Exalté par une étrange inspiration, j'écris cinq nouveaux chapitres. Pourquoi certains jours j'ignore complément quoi écrire et d'autres, je ne peux empêcher mes doigts de marteler ces pauvres touches de clavier ?

Mardi, tout est pratiquement normal. Pas d'intrusion inopinée des fantômes du passé, pas d'amis abattus sur mon sofa, pas de disputes sur une vérité éludée. Rien de spécial. Mais le soir, lorsque je me retrouve confronté à mon ordinateur, pas une idée ne surgit dans mon esprit. Même pas une seule lettre ne macule la nouvelle page blanche. Et ce même curseur me maudit de ne pas savoir quoi écrire.