Crève-Cœur

Chapitre 21

Je caresse ses lèvres sèches de mon pouce. J'observe les longs cils qui ourlent ses yeux clos. Il est paisiblement endormi, et ses lèvres dessinent un léger sourire malicieux. Et si vulnérable, je dépeins chaque détail de son visage.

Et je l'observe heureux pendant si longtemps. J'observe ses larges épaules nues, et les mouvements de son thorax lorsqu'il respire. J'observe la petite bosse sur son nez et la courbure de ses narines. J'observe ses sourcils parfaitement épilés. J'observe les cicatrices que l'acné a gravées sur son front. J'observe les creux de ses joues et les veines de son cou. J'observe les ongles de sa main posée sur mon oreiller. J'observe ses cheveux bruns hirsutes qui lui tombent sur les yeux.

Et ses yeux. Malgré qu'ils soient profondément fermés, je me souviens de leur bleu. Si ensorcelant. Si envoutant.

Je l'observe jusqu'à ce que...

« Sasha ! Sasha ! Sasha réveille-toi ! »

Je secoue la tête et ouvre les yeux. Ma vue est troublée. Je ne sais pas bien où je suis mais ça bouge anormalement. J'ai du mal à retrouver mes idées.

« Sasha ! On est arrivés ! »

Je dévisage la jeune femme à l'abondante chevelure noire qui me crie dessus. Je plisse les yeux mais la réalité est toujours nébuleuse. Ma tête me fait atrocement mal. Je ne sais toujours pas où je suis.

« On est arrivés ! s'écrie cette même jeune fille. »

J'examine les alentours. Il n'y a que de longues allées de fauteuils. Des gens qui se lèvent et piétinent les uns derrière les autres. D'autres qui tendent leurs bras pour récupérer leurs bagages. Je perçois les pleurs étouffés d'un bébé.

Et Charlie qui ne cesse de s'agiter.

C'est bon, je suis où je suis.

« On est arrivés ! Sasha, on est enfin arrivés ! »

Je feins un sourire et serre les poings pour réprimer mon excitation.

Parce que c'est bon, je sais où je suis : en Australie ! Alors je néglige la contenance que j'essaie d'avoir dans cet avion et saute dans les bras de Charlie. Elle me serre fort lorsqu'un vieil homme râblé nous sommes de sortir. Je secoue la tête et ne peux empêcher ce sourire hébété sur mon visage. Charlie s'empare de son sac, moi du mien et nous sortons de l'avion.

L'air est chaud, presque étouffant. Mais il semble avoir le gout du chocolat tant il est bon. Alors je prends une grande bouffée d'air avant de descendre les marches, suivi de près par Charlie. Nous suivons les autres touristes jusqu'à l'aéroport afin de récupérer nos bagages. Près de moi, l'excitation vive de mon amie se fait ressentir.

« On est arrivés Charlie, j'y crois pas ! »

Elle sourit.

« Ces 20 longues heures de vol ont valu le coup, non ? »

Je fais non de la tête en y repensant.

« Ne m'en parle pas. J'ai trop mal aux fesses ! »

Elle s'esclaffe alors que nous montons dans un taxi noir et orange stationné devant l'aéroport. Charlie indique l'adresse au chauffeur dans un anglais parfait. Je souris de la voir si rayonnante. Le chemin est long mais le paysage est à couper le souffle. À travers la vitre teintée de la voiture, j'observe les arbres et les immenses immeubles défiler. Tout est plus idyllique ici. J'ai l'impression d'avoir plongé dans l'un des clichés de Charlie. Ceux beaucoup trop parfait, beaucoup trop utopique. Je pose la tête contre la vitre, bercé par le bruit du moteur et le paysage qui défile. Je sens la main froide de Charlie se poser sur la mienne. Je ne bouge pas. J'aime ce contact froid contre ma peau, il me réconforte.