Chapitre 29

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J'ai laissé l'empreinte de mes dents sur ses lèvres et celle de mes mains sur son corps. J'ai gouté à sa peau blême, marqué ma chaleur sur ses seins, parcouru son dos de mes mains. J'ai embrassé son entièreté dans le halo de désir qui nous excitait. Qu'était cette terrible idée que de consommer ce désir qui s'attisait ? Quelle mauvaise intention tendait à desservir nos cauchemars au travers de nos peaux s'échauffant ?

J'avais juste cette envie irrépressible de la posséder, bouleversant son être à l'immatérialité à laquelle elle se laissait consumer. Mais alors, tombant dans l'infamie que ces sentiments exécrables enfermaient, je m'abandonnais aux affres charnelles et perverses qui me dépravaient.

Plus nos corps se déchainaient, plus la réalité s'effaçait.

Et suite au chaos qui avait occupé cette nuit, je me rappelle la noirceur de ses yeux dans lesquels je me suis noyé. Et je me suis languis longuement de cet achèvement plus il s'étendait dans le temps.

« Sasha, est-ce que tu as peur de mourir ? »

Étendus ainsi l'un près de l'eau, dans une vulnérable nudité, je perçois les vibrations de sa voix dans mon corps.

Je hausse les épaules alors qu'elle déglutit et replace une mèche de cheveux derrière son oreille.

« Tu vas vraiment mourir ? »

Elle lève ses yeux vers moi. Je hoche la tête.

« Je me suis fait à cette idée depuis longtemps déjà. »

Elle se redresse, se couvrant avec le drap blanc et froissé. La tête baissée, elle poursuit :

« Pourquoi tu vas mourir ? »

Veut-elle réellement parler de ça maintenant ? On dirait.

« J'ai une maladie dégénérative neurologique. Mon cerveau se détruit peu à peu.

— Tu vas perdre la mémoire ? Est-ce que tu ne vas plus pouvoir bouger ? »

Je hausse les épaules, avec dans les yeux un voile de tristesse.

« Non. Je ne crois pas. Ma maladie est assez particulière. Les symptômes sont ces atroces maux de tête, des courbatures et des ecchymoses sur le corps. Et d'autres encore... »

Elle repose sa tête sur mon torse.

« Mais, il n'y a aucun moyen de te sauver ?

— Non. Et je n'ai pas envie d'être sauvé. De toute manière, c'est trop tard. »

Elle renifle.

« Tu as un traitement ?

— En quelque sorte. Mais je ne le prends jamais. Il n'y rien de plus fort que la mort. »

Elle ferme les yeux si fort afin de retenir ses larmes de couler.

Je la repousse. Ainsi, nous sommes assis en tailleur face à face, le regard plongé dans celui de l'autre. Je lui attrape sa main qui est redevenue froide.

« S'il te plait, ne pleure pas. Si je t'ai autant repoussé, c'était pour éviter ça. Pour éviter nous. D'arriver. Pour éviter ces larmes. De couler. Pour éviter cette douleur affligeante qui jamais ne cessera. »

Je lui caresse la joue de mon pouce et essuie une petite larme salée.

« Pourquoi ? C'est si injuste. »

Je sors du lit, terrifié, le cœur lourd.

« Je... S'il te plait Charlie. Il va falloir que tu l'acceptes sinon... »

Elle me regarde avec tant de peine que j'ai envie de disparaitre. J'ai envie de m'effacer de son esprit.

« Sinon ?

— Sinon je vais être obligé de...

— De me repousser ? C'est ça, non ? »

Je m'approche du lit. Elle, sur ses genoux, s'approche, et attrape mon visage de ses mains. Elle pose doucement son front contre le mien. Et nos souffles s'unissent en un seul.

« Ne refais plus ça, murmure-t-elle d'une voix fragile. N'ose plus jamais faire ça. »

Une larme perle sur ma joue. Une larme perle sur sa joue à elle. Je lève les yeux vers Charlie, nos fronts toujours l'un contre l'autre.

« Mais je ne veux pas. Je refuse que tu souffres par ma faute. Je ne peux pas l'accepter. »

Elle sanglote. Je sens ses doigts frémir sur ma joue.

« J'ai fait le choix de me lancer là-dedans avec toi. Le jour où tu m'as annoncé que tu allais mourir, j'ai moi-même pris la décision de souffrir, poursuit-elle dans un murmure. Ce n'est pas ta faute. C'est la faute de personne. »

Je passe ma main derrière son dos nu tout en séchant la larme sur sa joue avec l'autre. Je la regarde tendrement. Et si seulement je pouvais conserver ce moment à jamais, je le ferais. Elle m'enlace alors et me serre fort.

Comme si me serrer fort allait me maintenir en vie.

Je la serre fort aussi, comme pour imprimer son corps sur le mien.

« J'ai peur de mourir. J'ai peur de ce que c'est que de ne plus être en vie. De physiquement et psychologiquement ne plus être présent. »

Nos fronts toujours l'un contre l'autre, Charlie ajoute dans un murmure :

« Tout le monde a peur de mourir. Toi, plus tôt qu'il ne le faudrait. »

Et de nouveau, oublions-nous à travers la chair. Parlons-nous à travers l'envie. Touchons-nous à travers l'ivresse.

De cette concupiscence agitée.

De cette maladive possession de l'autre, de l'être.

Que même l'esprit n'ait aucun droit de jouissance.

Et que résonnent longtemps dans la nuit les gémissements étouffés de nos âmes dévoyées.


Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant