Chapitre 15

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J'ouvre les yeux. Mes pupilles se dilatent. Puis je les referme. Ils sont douloureux. J'ai du mal à les garder ouverts. Je tourne la tête, douloureusement. Le marteau et ses incessants contacts contre l'enclume sont de retour dans mon crâne. Je plisse les yeux et fronce les sourcils. Mon corps entier est courbaturé, meurtri par la fatigue et l'accoutumance de cette vie tourmentée.

Je lève légèrement la tête. Mon corps sans vie est étendu dans mon lit.

Je porte un caleçon bleu azur. Enfin.

Hier soir, en rentrant, je me suis rué sous la douche afin d'assainir mon corps qui avait été couvert d'impuretés dans cette cage. Uniquement vêtu de mon caleçon tant convoité, j'ai rapidement sombré dans un profond sommeil.

Il est tôt. Beaucoup trop tôt pour le peu de repos que j'ai eu.

Je me redresse et observe minutieusement mon appartement. Ce même chaos règne.

Je hausse les épaules : rien à faire.

Je passe une main moite dans mes cheveux encore humides. Mes paupières sont lourdes mais je sais très bien que je ne plongerai pas de nouveau dans un sommeil bienfaisant. Alors je pose mes pieds sur le sol froid et sors du lit, entrainé par le peu de courage qui me reste. Je m'étire longuement et baille, manquant de retomber dans mon lit. Il est encore temps d'aller au travail, même si je n'ai pas fait part de mes services pendant deux jours consécutifs.

Je parviens au café, l'atmosphère m'entourant est nébuleuse et altérée par une profonde désolation et lassitude.

Mon supérieur, conciliant, ne me renvoie pas, certainement pris en pitié par mon état critique de mourant. Il doit certainement penser que d'ici septembre il aura quelqu'un de bien plus compétent que moi. Je suis content pour lui ; ainsi, il n'aura plus à me supporter.

Je travaille toute la journée essayant tant bien que mal de faire abstraction à toute cette confusion autour de moi. En moi. Bien que la tentation de tout envoyer en l'air et de me tirer d'ici soit tentante, je ne m'y laisse pas convaincre. Il faut que je sois plus fort que tout ça. Mais les réflexions dans mon esprit se clarifient, concluant que tout ce que j'entreprends n'a pas le moindre sens.

Travailler ici.

Parler avec Louise.

Maël, Enzo, Charlie, mes parents, mon frère...

Manger, dormir.

À quoi ça sert putain ?

Je vais crever.

Je ne vois pas quel est l'aboutissement de toutes ces futilités.

Je termine la journée, épuisé, triste. Toutes ces sombres et sordides pensées ont embrumé une journée de plus d'un voile noir.

Sur cette vie pas si belle que ça au mauvais, très mauvais goût.

De retour dans mon chaotique appartement, je me laisse choir sur ma chaise de bureau que j'ai remis sur pieds. J'allume mon ordinateur, ouvre la page Word de ce roman qui ne veut pas se finir. Je retrouve ce curseur trépidant sur cette page blanche. Je retrouve l'angoisse de ne pas savoir quoi écrire.

Mais je repense à hier et au jour d'avant. Et ces touches noircies par l'usure sont alors malmenées par mes doigts passionnés. Cette rage irascible qui m'est immaitrisable me donne cette force de poursuivre mon rêve. Mon unique et probablement inaccessible rêve. Mon impossible fantasme.

Mais la vie est possible, non ? Alors tout l'est.

En théorie.

J'écris ardemment et agressivement, me relisant et me corrigeant. Jusqu'à ce qu'on frappe à la porte. Je passe une main dans mes cheveux afin de les dominer, en vain. Je considère qui est-ce qui fait intrusion dans ma transe rédactionnelle : Maël, les yeux injectés de sang.

Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant