Chapitre 39

16 4 0
                                    

Ce monde que j'ai pénétré est complètement insensé. Je vis dans la parfaite illusion de cette réalité qui est parvenue à parfaire mon quotidien. Je ne comprends plus ce qu'il se passe.

Tout ça. Tout d'un coup.

C'est trop pour moi.

Le succès complètement inattendu de mon livre.

Les interviews à la radio et à la télé.

De ce jeune homme.

Qui va bientôt mourir.

Mais qui avant ça, a réalisé son rêve le plus fou : écrire un livre.

Je l'ai fait. Et plus cela s'ancre dans la réalité, plus je suis asphyxié par cette évidence.

J'ai écrit un livre.

Je l'ai publié.

Et à présent, il a plus de succès que je n'aurai pu l'imaginer.

Mes parents sont complètement ébranlés par ma réussite. L'exaltation de ma sœur est considérable. Et mon frère est fier de moi.

Je n'y crois toujours pas.

Je vais mourir heureux.

Bien qu'il manque une unique chose à l'équation de mon bonheur.

Mais c'est pour une très juste cause et je ne pourrais jamais être plus fier de l'homme duquel je suis tombé amoureux.

Malgré toutes mes tentatives pour étouffer ces sentiments.

Je suis conscient qu'il ne me reste que très peu de jours dans cette nouvelle réalité, c'est donc pour cela que j'en profite au maximum.

Je sors le plus possible avec Maël et Charlie.

Je passe le plus de temps possible avec ma famille.

Et entre quelques interviews et des dédicaces ici et là, je pense.

Je pense que le moindre évènement, triste ou heureux, m'a permis d'en arriver là où je suis.

Et, bien que j'ai blessé Charlie et Enzo puisqu'il m'était impossible de faire un choix entre l'un ou l'autre, cette histoire se finit bien.

Malgré le fait que je vais mourir.

Et qu'il y aura des larmes et des sanglots.

Des cœurs lourds.

Et de petites taches noires.

Qui essuieront la pluie au coin de leurs yeux.

Depuis plusieurs jours, l'adrénaline et l'excitation redescendent. J'ai très mal à la tête et au ventre. J'ai des courbatures aux jambes et aux bras. Des ecchymoses à de curieux endroits de mon corps. Je saigne souvent du nez et je ne parviens plus à dormir.

Ça y est, je suis en train de mourir.

Alors que je reviens d'un rendez-vous avec mon notaire, je retrouve quelqu'un assis sur mon sofa.

C'est alors que je m'écroule violemment et douloureusement parterre lorsque j'aperçois Enzo.

Qui semble différent. Tellement différent.

Il s'agenouille près de moi, alarmé.

« Sasha ! Qu'est-ce qu'il y a ? Sasha, dis-moi que ça va ! »

Je hoche la tête mais je ne sens plus aucune partie de mon corps. Je ne sais plus où je suis. Et pourquoi je suis en train de mourir.

Enzo tremble et ignore strictement quoi faire. Cédant à la panique, des larmes commencent à perler sur ses joues.

« Tu ne peux pas savoir depuis combien de temps je rêve de te revoir Enzo, soufflé-je d'une voix désincarnée. »

J'ai beaucoup de difficulté à lever ma main pour la poser sur son visage. J'ai le goût du sang dans la bouche et le bruit du marteau contre l'écume est de retour.

Plus fort que jamais.

Vais-je vraiment mourir maintenant ? Dans les bras d'Enzo ?

On dirait bien.

D'une voix chevrotante, Enzo s'alarme :

« Non ! Non, je t'en prie. Sasha, ne pars pas. Pas maintenant. Pas comme ça. Je... »

Il est épris par un intense sanglot et commence à pleurer. Je sens ses mains trembler autour de mon visage. Et moi, étendu sur le sol poussiéreux de mon studio près d'Enzo, presque couché sur mon corps qui meurt, est étranglé par l'affliction.

« Tu n'as pas le droit de mourir ! Tu m'entends ! Meurs pas putain ! s'étrangle-t-il dans l'énervement. »

Il pose sa tête sur ma poitrine.

Mon cœur bat.

Il bat si lentement.

Mon cœur brisé en milliard de morceaux tranchants bat toujours.

« Je t'en prie Sasha, murmure Enzo, ne me laisse pas dans ce monde si cruel. Emporte-moi avec toi. »

Et ses sanglots traversent mon corps entier.

« Je t'aime tellement Sasha, tu ne peux pas savoir. »

Je n'y arrive plus. Vivre est trop dur.

Non, Louise, la vie n'est pas possible.

Elle est cruelle.

« Enzo, je parviens à dire, promets-moi de... »

Ses yeux bleus sont si blêmes, si éteints, si vides de vie.

« Pro... promets-moi d'être heureux. Promets-moi de porter un nœud papillon orange fluo à mon enterrement. Promets-moi de te marier avec l'homme de tes rêves. Promets-moi d'adopter les plus beaux enfants du monde. Promets-moi de vivre, Enzo. »

Il continue de pleurer contre mon torse, complètement démuni face à la situation.

« Je... je te le promets, dit-il entre deux sanglots. »

Tout ce que je sais ensuite, c'est qu'Enzo a pleuré longtemps contre mon corps qui rendait l'âme. Et puis j'ai entendu le cri de Charlie.

Strident. Affligé.

Puis le sanglot de Louise.

Étouffé. Éploré.

Ensuite, j'ai perçu le hurlement de ma mère.

Si prenant. Si accablé. Si humainement impossible.

Mon père, mon frère et Maël pleuraient.

Ils pleuraient à chaudes larmes comme les hommes pleurent.

Et Enzo continuait de souffrir contre ma poitrine.

Ma maladie m'ôte la vie le 22 septembre 2020 à minuit trente. Et c'est à l'hôpital, entouré de toute ma famille, que je rends mon dernier soupir.


Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant